24/12/2010

Le Dieu "pour les autres" (Noël)

Lorsque nous parlons de Jésus, du Fils de Dieu, nous faisons comme si nous savions ce qu’est Dieu, qui est Dieu. Même si les propos ont saveur mythologique, amèrement, nous imaginons l’incarnation de la seconde personne de la Trinité. Nous célébrons ainsi la venue en la chair du Verbe de Dieu. Nous récitons le credo et se crée un vilain fossé entre foi et raison ; nous demeurons attachés à notre Dieu, et cela nous fait vivre, quand bien même nous sommes incapables de donner sens aux affirmations de foi. Ce serait le mystère ! Mais alors la foi, si elle trouve encore sa justification dans une morale au nom du commandement évangélique de l’amour, se vide de sa valeur proprement théologique : un Dieu qui se fait homme pour que nous vivions dès aujourd’hui de sa vie.
Ses contemporains n’ont jamais parlé de Jésus comme l’incarnation de la deuxième personne de la Trinité, le Dieu fait homme. Sa famille, et surtout sa vraie famille, ceux qui ont écouté sa parole et ont taché d’en vivre, de la mettre en pratique, ont connu un homme. Les disciples ont été séduits, comme dit le prophète, et ils se sont laissé séduire.
Cet homme n’est assurément pas comme les autres. Bien, sûr, c’est un homme comme les autres ; et qui connaissaient les disciples, sinon cet homme, Jésus ? Et cependant, qui était-il pour vivre un tel souci de tous, et particulièrement de ceux dont personne n’a le souci, seulement le mépris ? Qui était-il pour parler ainsi de Dieu, en avoir un tel souci ? Les disciples ont appris de sa bouche qui était Dieu, le défenseur des pauvres. Ils ont entendu des mots sur Dieu, inouïs, incroyables, qui parurent à beaucoup sacrilèges et impies.
Pour nous, si nous sommes disciples, il ne peut en aller autrement. Plus que de voir débarquer comme venu d’ailleurs, extraterrestre ‑ comme on dirait aujourd’hui là où l’on parlait savamment d’extrinsécisme ‑ la parole dans la chair, nous sommes invités à accompagner cet homme, Jésus de Nazareth, pour apprendre de lui et qui est Dieu et qui nous sommes. Nous sommes invités à être disciples à la suite des disciples et à refaire le même chemin, le leur, de la mort à la relecture des années passées en sa présence, de la fin des espérances déçues sur le chemin d’Emmaüs à l’union au vivant qui fait vivre.
Il faut partir de la croix. Un homme meurt. Voyant comment il avait expiré, il faut en dire plus. Faire l’anamnèse de tout ce que nous avons vécu avec lui, remonter le plus haut possible, et, même si cela échappe à la description, à sa naissance. Comment expire-t-il ? Comment a-t-il vécu ? Comment est-il né ?
Pour les autres. Il est l’homme pour les autres. Il parle et agit au nom d’un Dieu pour les autres, il vit d’un Dieu pour les autres.
A la croix, se brise la théologie, crise absolue du discours spontané ou savant sur Dieu. Le juste persécuté est le lieu de la présence de Dieu comme déjà Isaïe l’avait dit. Celui qui avait relevé les malades, pécheurs, dépravés et rejetés, est à son tour rebut de l’humanité. Dieu n’est pas l’être parfait, principe supérieur qui expliquerait pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Dieu ne tient pas en place, en sa place. Il est sortie de soi, il est hors de lui, surtout à la vue du mal, il est pour les autres. Dieu ne se complait pas en son auguste solitude ; quelle piètre idée de la béatitude !
Ainsi, la création n’est-elle pas une action de Dieu, un beau – ou un mauvais – jour. C’est l’être même de Dieu. Pour les autres. Dieu ne donne pas un monde, la vie – c’est trop peu dire. Dieu, se donne lui-même, livré pour les autres. Si Dieu n’est pas offert, pour les autres, ce n’est pas Dieu. Offert, il est pour les autres, avec les autres, en eux, Emmanuel.
Voilà ce que comprennent les disciples, ceux qui ont connu Jésus, il y a deux mille ans, et nous aussi. L’homme de Palestine est le don de Dieu, non un cadeau que Dieu offrirait, mais Dieu lui-même donné, livré. Cet homme, Jésus, dont l’existence tout entière est pour les autres, ne fait pas que témoigner d’un Dieu pour les autres, encore qu’il soit, comme dit l’Apocalypse, le témoin fidèle, le martyr de la foi ; il est lui-même Dieu en son être traversant l’épaisseur de la matière, pour les autres, dans la chair, dans l’humanité, avec eux, en eux, Emmanuel.
Cet homme né ignoré de tous, hors de la salle commune, mort quasi pareillement sur la montagne désolée du calvaire, dans son parcours singulier ‑ ignorances et apprentissages, sentiments et passions, limite et quête de Dieu, pétri de foi juive ‑ est historiquement le premier des fils de l’homme en qui Dieu réalise enfin son dessein, son être, pour les autres. Il est le premier né d’entre les morts et partant celui par qui tous accèdent au Dieu pour les autres, celui par qui Dieu acquiert une multitude de fils.
Faut-il demander : pourquoi lui, cet homme, juif, de Palestine, au premier siècle et pas un autre ? Comme l’on demandera pourquoi j’aime mon conjoint. Dans la chair, élire c’est choisir, et pourtant tous sont appelés, élus. L’un, Jésus de Nazareth, l’homme dont nous fêtons la naissance, est le fils bien aimé ; par lui, avec lui et en lui, désormais tous peuvent avoir part à leur vocation, la vie avec le Dieu pour les autres.


Jésus, homme au milieu des hommes, tu confies à tes disciples ce que tu sais de Dieu, ce que tu es de Dieu : pour les autres. Donne à l’Eglise des disciples d’être elle aussi, pour les autres.
Jésus, homme au milieu des hommes, tu ouvres à l’humanité le chemin de la vie. Donne à tous les hommes de notre terre, particulièrement à ceux qui sont accablés par la souffrance, l’injustice, la pauvreté, de connaître goûter dès aujourd’hui leur vocation : vivre du Dieu pour les autres.
Jésus, homme au milieu des hommes, tu sais ce qu’il en est des puissants, Hérode et autres Pilate. Donne à tous ceux qui nous gouvernent, dans les sociétés et les religions, dans l’Eglise, par la politique ou l’économie, d’être au service de leurs frères ou à défaut de craindre ton jugement.

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