30/07/2011

L'hostie est-elle le corps du Christ ? (18ème dimanche)

La multiplication des pains ressemble à une eucharistie. Tout particulièrement les mots suivants : Il prit les cinq pains […], leva les yeux au ciel, bénit, puis, rompant les pains, il les donna aux disciples, qui les donnèrent aux foules. On y retrouve la prise du pain par Jésus, la bénédiction, la fraction (qui donnait son nom au rite eucharistique durant les premières décennies chrétiennes) et le don du pain.
Est-ce à dire qu’il faut lire notre texte comme un texte eucharistique ? La question vaudrait tout autant du discours sur le pain de vie dans l’évangile de Jean, qui fait suite au récit de la multiplication des pains dans le quatrième évangile. Je ne cherche par cette question à entrer dans un débat d’experts mais à nous aider à comprendre ce que nous vivons dans la fraction du pain, dimanche après dimanche.
Pour nous, spécialement pour nous catholiques, l’eucharistie s’est comme chosifiée. Le pain et le vin consacrés sont des en-soi que l’on peut vénérer, adorer. Au point que l’on peut parfois donner l’impression que l’on a oublié la dimension de repas de l’eucharistie ; l’adoration semble être le dernier mot, le meilleur, de l’eucharistie.
Notons pourtant que dans aucun des textes évangéliques à connotation eucharistique il ne s’agit de voir, mais toujours de manger, ce qui, aux dires des auditeurs de Jésus, est particulièrement inadmissible : Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? […] Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent : "Elle est dure, cette parole ! Qui peut l’écouter ?" Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce propos, Jésus leur dit : "Cela vous scandalise ?"
La chosification de l’eucharistie me semble venir d’une récupération par la pitié, populaire et promue par des ecclésiastiques d’une théorie médiévale ‑ théologie tardive donc ‑ pour comprendre ce que sont ce pain et ce vin. La controverse anti-protestante a fait le reste.
C’est ou ce n’est pas le corps du Christ ? Répondez, c’est ou ce n’est pas ? Répondez simplement, sans nous embarquer dans des complications, oui ou non est-ce le corps du Christ ? Voilà le genre de questions que l’on entend, que certains formulent donc.
Mais voilà, il est impossible de répondre à une question ainsi formulée. Nos mentalités d’ingénieurs ou de techniciens ne voient pas aisément où est le problème, je vous l’accorde, mais enfin, la vie n’est jamais en oui ou non, en noir et blanc. Un ordinateur fonctionne en zéro et un, pas la vie, pas la foi.
Nous le savons nous qui sommes ici. Nous sommes assurément croyants, disciples de Jésus, et pourtant, nous constatons que nous ne sommes pas vraiment disciples de Jésus. Il est exact de dire que nous sommes disciples, oui, et ce d’autant plus que nous ajouterons que nous ne le sommes pas encore, que le chemin du serviteur n’est pas celui que nous empruntons le plus communément.
On parle de l’eucharistie comme d’une chose, en termes techniques, métaphysiques, comme d’une substance. On ne veut surtout pas en faire un symbole, parce que, toujours pour nos esprits peu cultivés et techniciens, le symbole n’est pas la chose. Mais l'on tombe dans une sorte de matérialisme eucharistique, bien typique de et conforme à l'époque dont pourtant on veut se démarquer par une soit disant spiritualité eucharistique. Il pourrait s'agir ni plus ni moins que d'une idolâtrie. On peut même, comble de la perversion de la foi, idolâtrer l'eucharistie.
La grande tradition parle de sacrement, dans un vocabulaire non technique, flottant, où les mots de signes et de symboles peuvent ne pas être contraires à ceux de vérité. On disait que l’eucharistie était le corps mystique du Christ, c’est-à-dire caché, sacramentel à la différence de l’Eglise qu’avec Paul on appelle corps du Christ. Voilà qu’un renversement se produit, et le verum corpus, c’est l’eucharistie, l’Eglise devenant corps mystique, au sens de non concret, second.
Or si l’eucharistie est sacrement, c’est dire qu’elle n’est pas un en-soi, qui se tient là, sous la main, mais signe qui renvoie à autre chose, signe tellement puissant, efficace, qu’en lui la chose désignée est comme présente, rendue présente. L’eucharistie est sacrement de ce que l’homme ne vit pas seulement de pain, de ce qu’il produit, de lui-même. L’eucharistie est sacrement de ce que celui que l’on ne voit pas, qui n’est pas disponible, là, qui est absent comme il semble si souvent, est pourtant celui qui fait vivre et qui, partant, doit bien être présent.
Les espèces eucharistiques ne sont pas l’eucharistie, ou alors, seulement comme sommet de l’iceberg, il faudrait dire métonymiquement, sacramentellement. C’est la vie qui est eucharistique dès lors que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. L’action de grâce est visibilisée dans le pain et le vin qui ne l’épuisent pas mais l’expriment et ce faisant la présentent. Le pain et le vin sont des paroles visibles, comme dit Augustin, celles de l’invitation par Jésus qui nourrit les foules.
Ce n’est pas ce morceau de pain, cette hostie, consacrée, qui est l’eucharistie. Cette hostie est sacrement de ce que Dieu fait vivre. De même que nous mangeons pour vivre, de même, nous mangeons ce pain parce que Dieu nous fait vivre, pour signifier que, et vivre de ce que, Dieu nous fait vivre. Le pain reçu, sa fraction, son partage entre frères, sa manducation ne font qu’exprimer, comme la partie le tout, on dit sacramentellement, que c’est Dieu qui est la vie de son peuple.

23/07/2011

L'alogique du discours en parabole (17ème dimanche)

Le discours en parabole est un discours extravaguant, disproportionné. En grec, on dirait un discours a-logique, un logos non logos. La parabole une manière de parler qui veut dire l’impossible en rusant avec le discours. Elle lui coupe l’herbe sous les pieds pour que l’on ne puisse pas le croire, et que l’on soit obligé d’aller comprendre ailleurs.
Quelle est l’incohérence, l’extravagance des paraboles d’aujourd’hui ? Pour les deux premières, c’est facile. Qui pourrait se séparer de tout pour acheter une seule chose, qui plus est, non utile à la vie quotidienne. Il faudra bien manger, ce soir et demain. L’homme n’a pas tout vendu pour acheter le champ où se trouve le trésor ; le collectionneur n’a pas tout vendu pour acheter la perle.
Que l’on dise que le Royaume vaut plus que tout, oui, sans doute. Mais ce n’est évidemment pas suffisant. Le Royaume n’est pas mieux que le reste, le meilleur possible. Il relève d’une autre logique, que le superlatif échoue à désigner, une logique autre que celle de la possession. Et il ne faudrait pas que l’on se méprenne : le Royaume ne s’achète pas, fût-ce aux prix de tous les sacrifices.
Une religion des œuvres, des bonnes œuvres, une religion des sacrifices de carême ou des petits sacrifices de tous les jours, risquerait de trouver une justification sans cette a-logique du discours. Il est pourtant tellement évident que le Royaume relève de la générosité sans limite, sans condition, de Dieu, qu’il est Dieu lui-même, le prodigue.
L’extravagance de la troisième parabole me saute moins aux yeux. Faut-il la voir dans la diversité des poissons dans le filet ? Les bancs de poissons font que la pèche est souvent plus homogène. Faut-il la voir dans la partition bipolaire entre le bon et le mauvais ? Quel homme est totalement bon ou totalement mauvais ? Et s’il faut être bon pour être sauvé, qui pourra l’être. L’évangile de Matthieu, un peu plus loin, précise que pour les hommes, c’est impossible.
Cette troisième parabole fait d’ailleurs rupture avec les deux précédentes. Là où une seule chose ‑ un champ, une perle ‑ remplace tout le reste, la pèche met en scène une diversité que seul le jugement dernier pourrait simplifier. Faut-il comprendre que cette troisième parabole inscrit la radicalité du jugement dans l’aujourd’hui du Royaume, non pas à la fin, mais aujourd’hui, lorsque l’homme se décide à tout vendre pour acheter le champ du trésor ou la perle ?
Plus déconcertante encore, la conclusion qui amène une nouvelle comparaison, celle du scribe qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. Revient le champ sémantique du trésor, mais disparaît la valeur. On ne sait si c’est le neuf ou l’ancien qui est bon. Y a-t-il du mauvais d’ailleurs ? Et pourquoi précise-t-on cela d’un scribe devenu disciple du Royaume ?
Ces paraboles, non seulement dans leur extravagance, mais aussi dans leur flou, paradoxalement difficile à percevoir, interdisent toute application littérale, toute lecture fondamentaliste.
Il n’y a pas de solution. La critique de la vie, la vie examinée, est une nécessité. Mais critiquer la vie n’est pas dresser le modèle de ce qu’il faudrait choisir. Impossible de s’endormir sur les lauriers des certitudes quant à notre existence. L’évangile ne propose pas d’idéal, ne propose même pas de repères en terme de bon ou mauvais, mais manifeste la complexité, du neuf et de l’ancien, comme du bon et du mauvais sans que cela ne se recoupe, peut-être à tenir ensemble plus qu’à opposer, et en même temps, des choix dirimants qui font abandonner tout pour le Royaume.
Impossibilité de se représenter le Royaume, non pour en interdire l’accès, mais au contraire pour en ouvrir la porte. Le royaume n’est pas dans le superlatif. Il n’est pas non plus dans le choix du bon, ce qui est évidemment impossible, puisque le bon n’existe dans nos vies, séparé, nullement contaminé par quelque mal que ce soit.
L’impossibilité de comprendre – et les disciples sont bien téméraires à répondre qu’ils ont compris ! – la nécessite de s’interroger toujours, de ne jamais se contenter d’une opinion tranchée une fois pour toute, voilà qui serait peut-être la condition du Royaume, le Royaume. Comment voulez-vous comprendre Dieu ? Cela n’interdit pas de chercher, au contraire. Le Royaume se quête comme le trésor ou la perle inespérés. Il n’est pas comme le filet de poisson qu’il suffirait de trier. La diversité, celle de l’ancien et du neuf par exemple, ne saurait être repliée, comme n’importe qu’elle autre, sur l’opposition du bien et du mal.
Agir dans ce monde, envers nous-mêmes, envers les nôtres, en famille, au travail, en paroisse, ou envers les autres, dans le contexte de mondialisation, rien de tout cela n’est évident. Mais cette non-évidence ne nous dispense pas de la vie examinée, de l’interrogation, de la quête. Qu’il n’y ait pas de réponse ne signifie pas que la question ne se pose pas. Comment chercherons-nous le Royaume ?

1 R 3, 5-12 ; Rm 8, 28-30 ; Mt 13, 44-52

Eglise et pouvoir. La critique comme vertu

La Conférence catholique des Baptisés de France a publié le 19 juillet un texte d'Anne Soupa intitulé Pouvoir et service. (http://www.baptises.fr/conference-des-baptises-de-france/convictions-et-reflexions/pouvoir-et-service/)

Je me permets de recopier ci-dessous le commentaire que j'ai envoyé.


Anne,

J’imagine que vous avez repéré ma tendance, maladive, à prendre le contre-pied d’une opinion. Elle a pour effet, parfois, de poser le débat autrement. J’espère que vous l’accepterez une fois encore.

Non que je ne sois pas d’accord avec vous pour parler du pouvoir comme d’un service. Encore que je me demande jusqu’où il ne s’agit pas d’un sophisme, d’une impossibilité de fait. La spiritualisation du pouvoir est encore pire que le pouvoir, elle en est une forme de sacralisation, encore plus difficile à contester. D’ailleurs, dans l’évangile, je ne pense pas que l’on puisse parler d’un pouvoir sous les traits du service. Il y a opposition entre pouvoir et service. Il me semble qu’entre les deux, il faut choisir. J’oserais donc être plus radical.

En outre, je ne suis pas à l’aise lorsque vous incriminez Rome. Oh, je ne suis guère du genre à les défendre, mais de fait encore, ils exercent peu leur pouvoir. Il y a plutôt un phénomène de courtisans, de gens qui veulent plaire à Rome. C’est ça le pouvoir de Rome, ce qu’on lui confère de pouvoir, plus que ce qu’ils en imposent.

Je suis en train de lire un petit livre de Myriam Revault d’Allones, Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie, Seuil Paris 2010. La question du pouvoir engage ceux qui se laissent gouverner. Je trouve les analyses rapportées de C. Lefort, M. Foucault et d’autres, très stimulantes pour le béotien que je suis.

Nous remarquons qu’il peut suffire d’ignorer le pouvoir pour que celui-ci disparaisse. Le magistère ecclésiastique n’a pour ainsi dire plus aucun pouvoir en morale sexuelle. Plus personne ne l’écoute. Chacun mène sa vie, parfois aussi, souvent peut-être, de façon examinée. J’ai peur de penser qu’il en va de même pour le sens de l’existence. L’Eglise n’est plus écoutée, et l’on pourrait analyser cela comme une fin du pouvoir. Du coup, la question du pouvoir dans l’Eglise se pose autrement que comme une critique de ceux qui ont le pouvoir. Nous ne voulons plus, les gens ne veulent plus de ce pouvoir et par ce simple fait, l’ont de facto, fait tomber. Le discours ecclésial, au moins en certaines matières (morale sexuelle, kérygme) n’a plus de pouvoir, est inopérant.

Je crois qu’une critique du pouvoir, c’est une critique du rapport gouvernants / gouvernés, du moins aussi. Pourquoi acceptons-nous ce pouvoir dans l’Eglise ? Pourquoi ne disons-nous pas clairement ce que nous faisons non moins clairement, ne plus reconnaître le pouvoir de l’Eglise en certaines matières ?

La lettre des prêtres autrichiens à cet égard est révélatrice. L’archevêque de Vienne s’est fâché (http://www.la-croix.com/Religion/Urbi-Orbi/Monde/Le-cardinal-Schoenborn-repond-a-l-appel-a-la-desobeissance-de-pretres-_NP_-2011-07-12-688639). Mais nombre d’entre nous, y compris évêques, donnent sciemment la communion à des divorcés remariés. Il n’y a pas la moindre rupture avec l’Eglise, de facto, et contrairement à ce qu’affirme, dans le vide, l’archevêque de Vienne. Ces prêtres, comme tous les autres, ne sont pas en rupture avec l’Eglise. Ils sont, avec beaucoup, cette Eglise, qu’ils tachent de servir. On peut même penser que justement, c’est ainsi que l’Eglise est au service de l’humanité, contrairement à ce que recommandent certains discours, non que nous recherchions le n’importe quoi laxiste, évidemment. Nous sommes nous, chrétiens, et le magistère avec nous, dans une logique hypocrite du « Pas vu, pas pris ».
Les baptisés, dont font aussi partie les clercs, se doivent sans doute, paisiblement, comme vous le faites souvent et permettez par ce site de le faire, de mener une réflexion sur le pouvoir qui prenne en compte leur propension à se satisfaire de ce pouvoir si peu évangélique.


Je réponds ensuite à un internaute qui manifestement a du mal à lire lorsqu’il ne voit pas écrit ce qu’il pense, comme il le pense :


Je ne sais ce qui vous laisse penser que je me réjouisse de ce que notre Eglise, son magistère en particulier, ne soient pas écoutés. Mais il y a écoute et écoute. L’écoute du magistère suppose, comme le dit Anne, que ce magistère écoute. L’écoute du magistère n’est pas obéissance servile, mais responsabilité, coresponsabilité dans la vie de la cité et de l’Eglise. A cet égard, on dit souvent que les prêtres et les diacres promettent obéissance à leur évêque. Cela est faux. Au moins dans la traduction française du rituel. (Il faut que je regarde l’édition latine.) En français, l’évêque interroge : « Promettez-vous de vivre en communion avec moi et mes successeurs dans le respect et l’obéissance ». Ce qu’ils promettent, c’est de vivre dans la communion. C’est la communion qui est le but. L’obéissance, comme le respect, est un mode, un moyen de cette communion, et non formellement ce qui est promis. Le raccourci est hautement révélateur d’un dysfonctionnement.

Je me désolidarise tout autant d’un discours qui tiendrait le magistère comme responsable de nos maux. Non que le magistère n’ait pas à se situer autrement, mais on n’analyse pas correctement la situation en désignant un bouc-émissaire. Je voudrais m’en garder.

Je voudrais bien demeurer loyal vis-à-vis de mon Eglise. Cela ne signifie pas que je devrais ranger toute critique, comme un courtisan, au contraire. Les courtisans tuent l’Eglise. Le refus de dénoncer les erreurs est coupable (on en sait quelque chose avec les histoires de pédophilie).

Je vous accorde cependant que la manière de dénoncer doit être prudente. La poutre qui est dans mon œil risque toujours de me rendre incapable de voir la paille dans l’œil du frère. Personne n’est au-dessus du lot, pas plus le magistère que n’importe quelle autre personne ou groupe de personnes. C’est ensemble que nous portons le péché et « la foi de [son] Eglise ».


Enfin, suite à un nouvel apport d’Anne, j’ajoute :


Anne,

merci de votre réponse. J’ose ajouter quelques lignes, non pour vous répondre et encore moins pour contester. Je profite seulement de ce que votre site nous offre de partager des choses bien importantes (plus d’ailleurs dans la possibilité qu’elles ont d’être dites que comme théorie).

Je suis sans doute plus pessimiste que vous sur la capacité de ceux qui ont le pouvoir à ne pas d’abord chercher leur intérêt. Je ne vise pas seulement les intentions pures, qui n’existent pas. Nous trouvons toujours aussi notre intérêt quoi que nous fassions (y compris dans la passivité voire la servilité). Mais avec le pouvoir, c’est plus que cela. Le pouvoir est évidemment nécessaire ; il n’est, évidemment, pas mauvais en soi. Mais il me semble receler une puissance de corruption que seul le contre-pouvoir peut, et donc doit, équilibrer.

Il est de notre devoir de démystifier des théologoumènes qui se présentent comme seule expression juste de la foi et une forme de gouvernement qui participe grandement au discrédit, y compris parmi les chrétiens, de l’Eglise, quand ce n’est pas à sa destruction. Et c’est d’ailleurs ainsi que je comprends la CCBF.

Cela peut paraître orgueilleux. Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Nous ne sommes jamais assurés de ne pas chercher aussi notre intérêt, et même, nous le cherchons puisqu’il n’y a pas d’intention pure, puisque tout contre-pouvoir, qui est aussi pouvoir, contient sa puissance de corruption.

Mais c’est justement pour le souci des institutions, c’est-à-dire des personnes, par loyauté, que je voudrais aider à penser non qu’il faudrait penser autrement, vivre autrement en Eglise, avec un évêque, avec un curé, avec le magistère (ma manière de voir n’est pas là pour remplacer une autre) ; je voudrais aider à penser la nécessité de la critique en vue d’un plus sain exercice du pouvoir. Comme membre d’un presbyterium, c’est-à-dire comme conseiller d’un évêque, mais d’abord parce que baptisé, et citoyen, c’est mon devoir. La critique, depuis Platon au moins est vertu, et en matière politique, elle l’est plus que jamais, dans un monde qui n’est plus hiérarchisé, au moins dans la croyance diffuse et commune, dans un monde où le chef n’a pas a priori raison parce qu’il est le chef. Mais alors, qu’est-ce qui fait effectivement l’unité, la cohésion sociale ?

Je rencontre ce problème de manière flagrante à Madagascar. La critique y apparaît, comme à beaucoup de catholiques chez nous, comme destructrice de l’unité. Elle est au contraire, la condition de l’unité.

« L’homo democraticus est littéralement ingouvernable »,écrit M. Revault d’Allones. Et c’est bien le problème, car il faut bien un gouvernement, y compris dans l’Eglise.

La crise que notre Eglise traverse est celle d’un changement de paradigme épistémologique et social, le passage à un monde où l’« un », que ce soit le chef, l’idéologie, ou quoi que ce soit, ne marche plus. Et cependant, nous ne pouvons, en débusquant la pseudo-croyance en l’« un », laisser proliférer le n’importe quoi qui sera toujours au service des puissants, comme le montre le néo-libéralisme. J’avais déjà parlé dans mon article sur le dogme d’un engagement civique, dans l’Eglise, disons, si l’on parle grec, un engagement politique (http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RSR_074_0495). Il faut apprendre à vivre en un monde sans fondement qui pourtant ne peut autoriser, évidemment, le n’importe quoi. Et la même chose vaut en Eglise. Oui, Benoît XVI a raison de constater que le monde moderne a perdu ses repères. Nietzsche l’avait aussi dit. En fait, il a perdu sa croyance dans le fait qu’il avait des repères. Oui, Benoît XVI a raison dans sa critique du relativisme. De là à penser que l’absence de fondement signifie la dictature obligée du relativisme, je ne le crois pas. C’est une possibilité certes, mais il en est d’autres qui permettent de ne pas vivre dans la nostalgie ou la volonté de retour en arrière, de réenchantement du monde, de restauration ecclésiale. Nous sommes contraints à ce qui aurait toujours dû être notre tâche, bâtir une société, éduquer des personnes, responsables, d’elles-mêmes, de la société où elles vivent, des relations internationales, de leur Eglise.

Si nous laissons gouverner, oserais-je dire, si nous laissons aux gouvernants le soin de se convertir eux-mêmes, non seulement nous nous rendons complices de dérives (mais en soi, cela n’est pas une raison suffisante pour agir, car nous sommes complices, quand ce n’est pas responsables, de bien d’autres maux). Si nous laissons gouverner ainsi, nous ne faisons pas notre travail d’aider les uns et les autres à être responsables, à être plus humains. Et ce service de l’humanisation fait sens y compris évangéliquement. Oui, notre responsabilité de baptisés est politique même à l’intérieur de l’Eglise. Ce qui est étonnant, c’est qu’une telle affirmation étonne, voire effraie.

J'ai déjà évoqué Nietzsche. Mais celui que l'on peut lire comme son double chrétien, Dostoïevski, devrait plutôt être cité. Beaucoup de ces propos sont racontés dans la légende du grand inquisiteur !

22/07/2011

A propos du libéralisme...

« Sachent donc ceux qui l'ignorent, sachent les ennemis de Dieu et du genre humain, quelque nom qu'ils prennent, qu'entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Le droit est l'épée des grands, le devoir est le bouclier des petits. »
Lacordaire, 52ème conférence de Carême, 16 avril 1842

17/07/2011

Pour un anniversaire d'ordination

Célébrer vingt ans d’ordination, n’est-ce pas pratique bien mondaine, pire, expression d’une théologie fort contestable, celle d’un sacerdoce qui distingue des dignités de chrétiens ? Les oraisons de la messe pour le prêtre sont particulièrement déplorables, parlant du prêtre indépendamment du presbyterium et séparé de la communauté chrétienne, du moins lorsque celle-ci est mentionnée. Pour célébrer un anniversaire d’ordination il faudrait faire du ministère un honneur, et c’est bien ce qui se passe. On le remarquera à constater que les gens du monde ne fêtent pas les vingt ans de présence de la bonne dans la maison, qui elle, est au service.

Et puis, pour faire la fête, il faut être en joie. Déjà il y a dix ans, ce n’était guère le cas. Les choses ont-elles changé en dix ans ? Pas sûr. Il y a cependant joie à recevoir tant d’amis, à faire se rencontrer les uns les autres, joie de recevoir tant de messages de ceux qui n’ont pas pu venir. Célébrer vingt ans d’ordination a au moins ce mérite, et ce n’est pas rien, susciter la joie, faire jaillir une source de bonheur.

Si anniversaire il devrait y avoir, ce serait celui du plus beau jour de notre vie, pas même connu ‑ pour la plupart d’entre nous ‑ celui de notre baptême. Avant même que nous ne soyons conscients, nous sommes aimés, divinisés. Et si l’on ne veut pas être, par manque de pudeur, pleins d’arrogance à l’encontre de ceux qui comme Job maudissent le jour de leur naissance parce que la vie est trop dure, pleins de contentement comme Hippias, il vaut sans doute mieux que l’on ne se rappelle pas ce jour le plus beau. Ce que l’amour des parents, en général, suscite de vie, l’amour de Dieu le fait aussi. Célébrer le jubilé de son baptême, ce que personne ne fait semble-t-il, voilà ce que serait un anniversaire sérieux.

Il n’y a rien à ajouter à l’être chrétien. On n’est pas plus chrétien parce que ceci ou cela, parce que prêtre. On n’est pas plus ami du Seigneur. Je vous appelle amis n’est pas une parole adressée à quelques uns, d’autant que Jésus n’a sans doute jamais eu l’idée qu’il y aurait des prêtres, pas plus que les premières générations de chrétiens. Je vous appelle amis est une parole adressée à tout homme et l’entendre est une bonne nouvelle, un évangile.

Le texte de la première lecture, je l’ai entendu comme pour la première fois il y a trois semaines, lors de l’ordination de Damien. Si c’est le don de servir, il faut servir. Tautologie qui laisse perplexe. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le mot grec est diakonia qui est traduit en latin par ministerium. On pourrait traduire : si c’est la grâce, ou le don, du ministère, il faut servir.

Dit ainsi, ce n’est plus du tout un pléonasme. C’est même d’importance. L’ordination fait entrer dans un ordre, autre pléonasme, celui de serveurs, de ceux qui font passer la parole comme on fait passer le plat, le pain ou le vin. Etre au service d’une communauté, d’une Eglise, pour qu’elle soit elle-même fidèle à sa mission, à la suite du Christ serviteur, au service de l’humanité.

Et que sont ce pain et ce vin ? Ceux dont parle le chapitre 6 de Jean, la chair et le sang, ce qui donne la vie, le Christ lui-même. Et le Christ, c’est Dieu donné, c’est l’amour de Dieu. Le service du pain et du vin, c’est le service de l’amour de Dieu, donc celui des frères. Et si l’eucharistie a un sens, c’est bien celui-là, exprimer sacramentellement, être sacramentellement l’amour de Dieu, le don de Dieu, Dieu lui-même.

L’on rend un culte à Dieu lorsque l’on aime le frère, lorsque l’on sert l’amour de Dieu. Il n’y a pas d’autre culte, d’où l’expression curieuse d’un culte logique, d’un culte du logos, qui est transformation de nos façons de penser, conversion. Plus de culte sacrificiel, plus de culte religieux. Un culte selon la raison ou selon la parole, un culte selon proportion, à savoir le service des frères. Voilà ce qui est vraiment raisonnable, ce qui est conforme à la Parole, ce qui est la juste mesure de nos actes.

Pourrions-nous par nous-mêmes rendre pareil culte ? Oui, puisque l’Esprit de Dieu habite en nous, que nous le sachions ou pas. Mais non, car sans cet Esprit, nous ne pourrions nous approcher de Dieu. Que l’homme ait le désir de Dieu est une chose, qu’il puisse passer de ce désir à sa vérité, c’en est une autre qui ne dépend pas de lui, mais de Dieu, de Dieu qui se donne, du don de Dieu. Pour les hommes, c’est impossible.

C’est encore Dieu qui se donne pour que nous le trouvions, qui se donne pour que nous le cherchions. Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Ainsi l’amant vis-à-vis de l’aimé. Ainsi le désir inextinguible. Dès l’aube, durant la nuit, chair qui se languit. Un catalan, un européen en parlait ainsi : « Par l’amour particulier que l’Ami avait pour son Aimé, il aimait le bien commun au dessus du bien particulier, afin que son Aimé fût connu, loué et désiré en commun. »

Textes : Rm 12,1-11 ; Ps 62 ; Mt 19,16-26

16/07/2011

"Nous ne savons pas prier" (16ème dimanche)

Nous ne savons pas prier comme il faut. Et que l’on n’imagine pas que cela pourrait changer. Nous n’apprendrons pas à prier. La preuve, c’est que lorsque Jésus apprend à ses disciples à prier, il leur expose sa prière qui n’est qu’une compilation de prières d’Israël. Pourquoi donc la prière su Seigneur vaudrait-elle mieux que celle de tout Israël, que les psaumes par exemple ?
Nous ne savons pas prier, nous ne pouvons pas apprendre à prier, nous ne pouvons pas prier. Cela n’est pas à la portée de l’homme. Que l’homme ait le désir de se concilier le dieu est une chose. Que ses paroles parviennent jusqu’à la divinité en est une autre. Et le païen Celse, au second siècle de notre ère, le sait bien :
« Dieu n’a nul besoin pour son contentement personnel d’être connu de nous. Serait-ce pour notre salut qu’il a voulu se révéler à nous, afin de sauver ceux qui, l’ayant reconnu, seront tenus pour vertueux et de punir ceux qui l’ayant rejeté, manifesteront de ce fait leur malice ? Mais quoi ! Doit-on penser qu’après tant de siècles, Dieu se soit enfin soucié de justifier les hommes dont auparavant il n’avait eu cure ? C’est se faire de Dieu une idée bien peu conforme à la sagesse et à la vraie piété. […] La race des Juifs et des Chrétiens [me fait l’effet] d’une troupe de chauves-souris, de fourmis sortant de leur trou, de grenouilles établies près d’un marais ou de vers tenant assemblée dans le coin d’un bourbier et disputant ensemble qui d’entre eux sont les plus grand pécheurs. »
Qui peut décemment penser qu’il intéresse Dieu ? Et plus notre conception de Dieu est purifiée, plus nettement apparaît que la divinité a autre chose à faire que de s’occuper des hommes. D’ailleurs, le dieu n’a rien à faire, si ce n’est à jouir de son bonheur, de lui-même. Reste à se le concilier autant que possible, offrant quelques sacrifices pour lui être agréable, non certes de viande qui crame sur un autel, mais de bonnes actions, de vie examinée. La contemplation de la divinité est la joie, presque volée, à laquelle l’homme peut parvenir, par un travail de purification de soi et d’abstraction de la matière.
Le Christ renverse cette conception commune du dieu ou des dieux. Dieu est philanthrope. Dieu aime les hommes. Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils, son unique, non pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Dieu veut le bonheur de tous les hommes, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.
Comme s’il manquait à la plénitude, au bonheur de Dieu, que l’homme soit associé à sa béatitude, que la création soit transfigurée. Ce retournement de Dieu, ce qu’il faut bien appeler, au moins littéralement, une conversion de Dieu, peut encore s’exprimer par la présence de Dieu au milieu de son peuple. Il est l’Emmanuel, le Dieu avec nous. J’ai vu, dit-il à Moïse, la misère de mon peuple.
Dieu présent au cœur du monde, c’est cela, c’est lui, l’Esprit de Dieu. Dieu qui demeure avec nous, Dieu qui s’unit à l’homme et le pénètre comme un onguent, voilà l’Esprit. Est-il homme à en être privé ? Non sans doute, car un tel homme ne serait pas. Un homme non créé, un homme non seulement sans la trace de sa création, mais sans la présence aimante de son créateur, cela n’existe pas. La nature pure, si l’on veut dire un homme seulement humain, cela n’existe pas ; de toujours à toujours, Dieu s’est lié à sa créature.
Dans le même temps, le Dieu de la conversion divine poursuit son unique manière d’être, celle du retrait. Le Dieu qui s’offre, le Dieu sans lequel il n’est point de vie, crée la vie de telle sorte qu’elle puisse l’ignorer, crée l’homme de telle sorte que ce dernier puisse vivre par lui-même. Le don, la présence de Dieu, est total, autant que son retrait, sa volonté que l’homme puisse se tenir par lui-même, son absence.
Déchiré entre ce don qui le constitue et l’absence qui le constitue non moins, l’homme est être de désir, tout comme Dieu, qui donne vie pour autant qu’il ne s’impose pas, se retire, serviteur inutile.
Le désir de l’homme prend notamment la forme de la prière. Et l’homme qui ne risque pas d’appendre à prier est comme secouru là où pour lui, c’est impossible. L’Esprit vient au secours de notre esprit. Il intervient lui-même pour nous par des cris inexprimables, oxymore qui tente entre autre de dire l’abîme du désir, de la prière.
Ce n’est pas nous qui prions, c’est l’Esprit en nous. Prier alors, n’est rien autre que de permettre à Dieu de traverser sa création, l’homme en particulier, du cri du désir. La prière est l’érotique de Dieu qui s’unit à ce qu’il n’est pas pour diviniser toute chose. Cri inexprimable, douleur du manque et jouissance de la présence.


Que l’Esprit s’empare de l’Eglise comme à la Pentecôte. Que le souffle divin nous emporte sur les routes des hommes.
Que l’Esprit s’empare des hommes et des femmes de notre monde. Qu’ils osent la paix et la fraternité. Qu’ils osent le service plutôt que le pouvoir et la possession.
Que l’Esprit secoure les malades, les personnes isolées. Qu’il soit leur souffle, surtout si c’est leur heure de passer la mort.

09/07/2011

Le semeur est sorti pour semer (15ème dimanche)

Parler de la parole de Dieu comme d’une semence, c’est dire sa fragilité. Combien de grains sont perdus pour que d’autres portent du fruit, avec plus ou moins d’abondance ? Et tous les grains meurent ! Et chaque année, il faut recommencer les semailles, perdre de nouveau ! Parler de la Parole de Dieu comme d’une semence, c’est s’interdire la capitalisation. Rien n’est jamais acquis, tout doit toujours être recommencé.
Alors pourquoi devrait-on pleurer ou se désespérer devant le recul du christianisme dans nos pays ? Serions-nous comme le propriétaire, qui amasse toujours plus, récoltes après récoltes, n’investit que pour construire des greniers plus grands, repus de son opulence, dont l’Evangile, laconiquement, clôt l’histoire par cette parole cinglante : Fou que tu es, ce soir même on te redemande ta vie (Lc 12,20). Il ne faudrait pas que ce soit l’Eglise qui soit ainsi interpellée !
C’est toujours qu’il faut recommencer l’annonce de l’évangile. C’est toujours qu’il faut se disposer à accueillir la parole. On n’est pas assuré d’être disciple de la parole parce que l’on est de tradition chrétienne. Et c’est bien ce que nous constatons si communément. Ceux d’entre nous qui se disent chrétiens se doivent d’être comme la terre pour recevoir et faire donner du fruit à la parole. Ne doit pas leur importer la générosité de Dieu qui ne cesse de semer et de perdre du grain, d’en gaspiller. Qui serions-nous pour conseiller Dieu, tel un gestionnaire de fortune, l’invitant à rationnaliser ses investissements ? Nous sommes nous-mêmes les bénéficiaires de la prodigalité divine et nous désespérerions de nos sociétés ? Dieu ne compte pas quand il s’agit de semer l’Evangile, de quoi nous occupons-nous ?
Il y a en effet plus urgent, plus décisifs pour nous, que de nous lamenter sur la perte, sur ce qui nous apparaît comme un si faible rendement de la parole. C’est l’urgence missionnaire, c’est l’acceptation de cette mission incroyable, la collaboration à l’œuvre même de Dieu, semer la parole.
Si nous avons la chance de vivre de la parole divine, des semences du Verbe en notre monde, alors nous sommes associés à la mission du semeur. Il est sorti pour semer ? Sortons. Semons. Il ne compte pas le grain tombé sur le bord du chemin, dans les épines ou mangé par les oiseaux ? Nous non plus. Nous nous réjouissons d’une telle prodigalité dont nous sommes fait les ministres, les serviteurs. Nous recommençons sans cesse le geste dont il nous a laissé la charge : semer, faire entendre la parole.
Comment notre participation à l’œuvre du semeur laissera à l’Evangile sa saveur de bonne nouvelle, de libération ? Voilà une question que nous ne pouvons éviter, vu comment, de façon générale, est perçu notre discours ecclésial. Rappelons-nous, le semeur sème ; sa générosité n’est pas limitée par le terrain sur lequel le grain tombe. Nous n’avons pas à dénoncer la piètre qualité du chemin, sans être dupes cependant, seulement à semer.
Le psaume dit la tristesse du semeur (Ps 126,5). Voilà ce que l’on peut à la limite accepter de ceux qui sont associés au semeur. Peu nous importe la moisson, du moins, en ce qui concerne la politique missionnaire. Si nous n’avons pas la grâce de connaître la joie du moissonneur, où est le problème ? En quoi cela ferait-il que notre vie, notre mission, ne seraient pas une réussite ?
Depuis quarante ans au moins, on nous annonce régulièrement qu’enfin la bonne pastorale est trouvée, qui tourne le dos à la lente fidélité, souvent médiocre certes, de la pastorale ordinaire. Des communautés ont fleuri par lesquelles, tour a tour, on a juré. Elles semblaient moissonner, produire du grain plus que le reste, trop perverti par la sécularisation. On était obnubilé par les moissons alors que notre affaire, notre mission, ce sont les semailles. Avec le recul du temps, ces communautés qui ne peuvent plus surfer sur la nouveauté, sont reconduites à l’humble tâche du bricolage pastoral, aux pleurs parfois (que l’on pense aux crises que traversent nombre d’entre elles).
C’est qu’il ne suffit pas de faire du neuf pour que la nouvelle soit bonne. C’est que, pour tous, hier comme aujourd’hui, il faut consentir à ce que du grain soit perdu. Mais, une fois encore, n’allons pas être aigris par la générosité divine et contentons-nous de continuer sans relâche notre unique mission : semer la parole. La nouvelle évangélisation ne tire pas sa vertu de sa nouveauté, mais de ce qu’elle laisse transparaître la prodigalité, la bonté de Dieu.

02/07/2011

La petitesse devant Dieu (14ème dimanche du temps)

Matthieu juxtapose deux propos de Jésus, sa joie devant l’amour du Père pour les petits, l’encouragement pour ceux qui peinent sous le fardeau de l’existence. Le passage est encadré par deux mentions de temps qui le délimitent clairement. En ce temps là revient au début de notre texte et immédiatement à la suite, pour ouvrir le passage suivant. C’est dire que rédactionnellement, ces quelques versets forment une unité. Mais quel rapport entre l’exultation de Jésus et son invitation au repos ?
Qui sont les petits auxquels le Père se dévoile, se révèle ? Ils ne sont ni sages ni savants. Serait-ce les gens sans instruction ? S’il suffisait de ne savoir ni lire ni écrire pour que Dieu se révèle, Jésus ne ferait pas partie de ceux auxquels le Père s’est dévoilé. Assurément Jésus savait lire, assurément, il fait partie des sages. Peut-être même des savants, au moins en ce qui concerne la tradition biblique et théologique d’Israël.
Les sages et les savant sont plutôt comme les Juifs de Jean, comme nous, ceux qui croient voir et sont en fait aveugles. Ce sont ceux qui comptent sur leur science pour connaître Dieu et non sur le Fils qui est celui qui peut le révéler. Ainsi, on peut même être sage et savant en étant très inculte, en se cramponnant à ses idées, jamais prêt à se remettre en question, de ceux qui tiennent d’autant plus à leurs idées qu’ils en ont peu. On peut ainsi se croire sage de sa stupidité, fier de son ignorance. Un certain populisme tient se langage, tout comme une prétendue défense de la foi du charbonnier.
Il y a en revanche une docte ignorance, qui n’est pas l’absence de connaissance, mais la connaissance des limites de la connaissance. Il faut souvent être très sage, très cultivé pour parvenir à la pratique d’un savoir qui connaît ses limites, qui renonce à avoir un avis sur tout, qui ne juge pas en deux temps trois mouvements, qui consent à demeurer dans le doute, dans la non réponse. Frustres ou savants, personne n’est à l’abri de l’enflure de la science.
Souvent, moins l’on en sait, plus on se tient aux quelques réponses que l’on connaît, solutions toutes faites, bien définies pour se conduire dans l’existence, alors que nos vies posent toujours de nouvelles questions, alors que notre foi pose toujours de nouvelles questions.
Et à propos de Dieu, sont souvent bien peu sages ceux qui, se targuant de n’être pas théologiens – que Dieu les en garde ! – savent évidemment qui il est ou n’ont besoin pour le savoir que de se reporter à une définition, par exemple du catéchisme de l’Eglise catholique. Ils n’ont pas pris le temps d’écouter notre petit texte jusqu’au bout : si Dieu se révèle aux petits, ce n’est pas directement, par le seul mérite de leur ignorance, mais par la volonté du Fils, le seul à connaître le Père, qui le fait connaître, le révèle, le dévoile.
La question est notre nature. La quête, la recherche est notre manière d’exister. Ce n’est pas pour rien que le pain du désert s’appelle la manne, littéralement du « c’est quoi ? ». Et la question est parfois lourde, pesante. Dans la foi même, nous pouvons être écrasés par les questions de la vie. Il n’y a jamais de réponses toutes faites, simples. Un jour ou l’autre l’existence est un poids, un fardeau.
Et Jésus en prenant notre fardeau ne supprime pas les questions par des réponses définitives – qui connaît la réponse de Jésus aux questions de sa propre existence ? - ; il ouvre un chemin où la quête n’est plus écrasante mais légère, où la dette n’est plus humiliation mais joyeuse et profonde légèreté. Jésus sait qu’il a tout reçu du Père et cette dette est son bonheur. Il ne voudrait surtout pas de remise de dette, il ne voudrait surtout pas ne plus rien devoir au Père. Sa jubilation vient de ce qu’il vit totalement de l’autre, dans la confiance.
Voilà le petit auquel le Père révèle les secrets du royaume, celui qui vit totalement de l’autre, non pas irresponsable ou en état de minorité ou parasite, mais conscient et heureux de n’être pas à lui-même sa propre source. Que serait notre vie si elle dépendait de nous ? Ne serait-elle pas aussi limitée et rabougrie que notre petitesse, notre mesquinerie ?
Nous aussi nous exultons de joie à reconnaître que nous avons tout reçu du Fils jusqu’au dévoilement, à la révélation du Père. Exulter d’une telle dette interdit d’être écrasé. La dette reconnue de Dieu est un fardeau léger. Nous ne pouvons que si peu et cela ne nous afflige pas, cela nous oblige à compter sur les autres, sur Dieu. Voilà notre bonheur.
Textes du 14ème dimanche du temps : Za 9,9-10 ; Rm 8, 9-13 ; Mt 11,25-30