28/07/2012

La multiplication des pains (17ème dimanche)


La multiplication des pains est un des rares épisodes à être raconté par les quatre évangiles. On pourrait en conséquence penser qu’il s’agit assez certainement d’un événement repérable historiquement, un miracle qui s’est effectivement passé. Mais après avoir entendu la première lecture (2 R 4,42-44), on a l’impression que le texte de l’évangile est un copier-coller du livre des Rois.
Vous avez repéré les éléments qui reviennent d’un texte à l’autre : des gens nombreux qui ont faim, l’invitation d’Elisée ou Jésus à leurs disciples de nourrir la foule, l’expression de l’impossibilité, le don de quelques pains, le fait de manger et les nombreux restes. Le récit évangélique semble n’être qu’une variation sur un thème connu.
On voudrait discréditer l’évangile que l’on ne s’y prendrait pas autrement, à faire connaître ces quelques versets du Premier Testament. Au contraire ! Le Nouveau Testament ne saurait être écrit sans le Premier, ne saurait être compris autrement que comme prophétie, du moins dès lors qu’on le lit dans la suite de Jésus.
Que font donc les évangélistes à ainsi lire le livre des Rois comme une prophétie ? Ils trouvent des mots, comme des pierres dans une carrière, pour parler de Jésus. La grande question des évangiles, n’est-ce pas l’identité de Jésus. Comment comprendre cet homme qui est le salut de Dieu ? Enfin un homme dont la parole nourrit ! Enfin un homme qui parle sans répéter les pseudos évidences que tous répètent ! Enfin un homme qui apporte la bonne nouvelle tant attendue, celle du salut.
Il nous faut encore noter que l’épisode des pains d’Elisée est lui-même un remake. Il rappelle la rencontre d’Elie avec la veuve de Sarepta, Le même genre de petit proverbe soulignant l’efficacité de la parole du Seigneur est repris dans un contexte de famine : car ainsi parle le Seigneur : On mangera, et il en restera. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d'Israël : Jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra (1 R 17,10).
Jésus via Elisée est présenté comme le nouvel Elie, celui qui doit venir, celui qui échappe à la mort, enlevé par un char de feu ou tiré du gouffre du tombeau.
A travers les trois histoires, est désignée la parole de Dieu dans son efficacité nourrissante. Ce qui nourrit c’est la force de cette parole selon laquelle la jarre de farine ne se vide pas, selon laquelle on mangera et il en restera, parole qui rassasie et permet encore de remplir douze corbeilles, autant que de tribus en Israël, le peuple tout entier est rassasié, autant que de mois dans l’année, chaque jour on sera rassasié.
Reste à savoir comment cette parole nourrit. Pouvons-nous dire qu’une parole fasse vivre et permette d’échapper à la famine ? Il est évident que l’homme ne vit pas de pain seulement. On crève à ne jamais entendre personne nous dire je t’aime. Et la parole de Dieu ne dit que cela. Dieu a dit une chose, quand bien même nous en entendons beaucoup. Dieu nous a dit je t’aime, et c’est notre vie, notre joie. Et il y a de quoi ramasser douze corbeilles de ce pain. Ces quelques syllabes, je t’aime, sont l’abondance même, la source inépuisable et prodigue.
Si nous venons partager le pain c’est uniquement pour entendre ce je t’aime et nous en repaître toujours. Venir écouter ensemble la parole, c’est partager un pain surabondant, c’est répondre à ce je t’aime qui nous engage à reconnaître en tout homme un compagnon. Le pain ne me nourrit qu’en étant partagé parce qu’alors j’entends le je t’aime qui fait vivre. Dans la fraction du partage est livrée la parole qui fait sourdre la vie.

27/07/2012

Liberté de croire ?

Je reçois le mail d’une maman qui prépare le baptême de son enfant et marque mon désaccord avec la formule, "il choisira plus tard". Que fêtes et saisons l’ait écrit n’est pas une preuve d’orthodoxie, ni même de bon sens. Voilà ma réponse.

Si vous donnez la vie à votre enfant, ce n’est pas pour que plus tard il ait le choix de se suicider. Evidemment, cela arrive, mais on fait tout pour empêcher la personne suicidaire de passer à l’acte. Or la foi est de l’ordre de la vie, bien plus que de quelque chose qu’on pourrait accepter ou refuser. Je ne pense pas que la liberté de croire soit une affaire de libre arbitre.
Si nous avons un peu compris ce qu’est l’amour de Dieu, comment pourrions-nous le refuser ? Comment dire à celui qui déclare son amour, qu’on n’en a rien à faire ? En ce sens, je conteste que l’on parle de choix.
Bien sûr que l’on n’ira pas chercher votre enfant contre son gré, et je sais que les religions ne garantissent pas toujours la liberté religieuse. En ce sens, oui, liberté il doit y avoir. Oui, la liberté religieuse, que l’Eglise catholique a eu du mal à reconnaître et que les intégristes de Lefebvre estiment être une hérésie, est non-négociable.
Cela ne signifie pas que le fait de croire relèverait du libre arbitre, de l’optionnel ou du domaine du privé.
Et dans le cadre de l’éducation, j’imagine que vous partagez le plus souvent mon opinion. Vous n’apprenez pas telle ou telle chose à votre enfant sous réserve qu’il ait le choix plus tard de les retenir ou non, même si de fait il le fera, au moins partiellement. En général, vous pensez bien que ce que vous lui apprenez, aussi bien en matière de rythme et hygiène de vie, de morale, de culture, d’amitiés et de rencontres, constitue l’équipement qui fait de lui un homme, une femme.
La foi ne me paraît pas de l’ordre d’un quelque chose que l’on a ou non, que l’on peut changer ou conserver, mais de l’ordre de la réponse à une déclaration d’amour.
De surcroît, le Il choisira plus tard, pourrait exprimer le désengagement des parents. Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire avec la célébration du baptême, et advienne que pourra. Mais la célébration du baptême, qu’est-elle pour un nouveau-né, s’il ne grandit pas dans un cadre où Jésus est l’ami, l’invité, celui qu’on a plaisir à recevoir, qui occupe nos pensées, etc. Si la pratique de l’évangile n’est pas la vie de la maison, qu’est-ce que l’enfant découvrira de ce Jésus ? Certes, il choisira plus tard, mais c’est à peu près certain qu’il ignorera Jésus si nous ignorons concrètement nous aussi ce Jésus. Ce ne sera alors pas un choix libre, mais seulement la conséquence de non inconséquence.
Voilà pourquoi, le recours à la liberté ne me paraît pas si ajusté qu’il semble, quand bien même il ne s’agit évidemment nullement de limiter la liberté de qui que ce soit.

24/07/2012

Les ouvriers de la onzième heure (Mt 20,1-16)

(Texte qui n'était plus disponible sur le site où il avait d'abord été publié, il y cinq ou six ans.)

Pour lire notre texte, premièrement, je lui fais crédit de la cohérence. Sans quoi, je ne vois même pas pourquoi le lire.
Deuxièmement, je constate que ce récit clair parle d’autre chose que de ce dont il parle. Cette histoire d’ouvriers n’a pas beaucoup d’intérêt en soi. Pourquoi donc la raconter ? Pourquoi surtout la lire des siècles après l’événement qui aurait pu le susciter, si l’on tient absolument à ne retenir qu’un premier degré, informatif ?
Les premiers mots du texte indiquent le chemin : Le royaume des cieux est semblable à. Ce dont on parle n’est pas une histoire d’ouvriers, mais cette histoire d’ouvriers veut parler d’autre chose, le royaume des cieux. Bref, il s’agit d’une parabole.
Troisièmement, je cherche une clé pour entrer dans ce texte. A priori aucun mot difficile, une histoire facile à comprendre, que tous peuvent répéter sans difficulté ; bref un récit clair. C’est bien le problème. Si le texte est si clair, comment l’interpréter, comment le comprendre ? Mais cette clarté n’est qu’apparente s’il s’agit d’une parabole. En effet, en quoi ce texte parle du royaume, qu’en dit-il ?
Pour ouvrir un texte, la clé repose souvent dans l’obscurité. Et les paraboles ménagent toujours une part d’ombre à partir de laquelle le texte peut dévoiler, peut révéler. Qu’est-ce qui pourrait bien être obscur dans ce texte si clair ?
Tous reconnaîtront que ce maître est magnanime, généreux, attentif à ceux qui nous apparaissent comme les laissés pour compte de la société et de l’économie. Or cet homme que l’on ne cesse de louer tient un propos proprement scandaleux : N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ? Littéralement : Est-ce qu'il ne m'est pas permis de faire ce que je veux de mes biens ?
Comme si avoir de l’argent dispensait d’être responsable ! Certes, c’est dans le bon sens qu’il fait ce qu’il veut de ses biens, bon sens par rapport à notre conception généreuse. Mais notons que la justification est scandaleuse. Il aurait pu défendre le droit de chacun à vivre dignement ; il aurait pu arguer d’une sorte de discrimination positive. Non rien qui vaille, quand bien même ces arguments sont profondément anachroniques.
Or ce maître semble évidemment devoir tenir la place de Dieu. Ainsi, le verset 4 promet de donner ce qui est juste (en plein centre de la structure du premier volet). C’est le soir, peut-être le grand soir, que le maître invite son intendant à donner le salaire, comme un jugement dernier.
Comment se peut-il que Dieu, si c’est bien de lui que l’on parle, puisse ainsi se comporter comme n’importe quel égoïste pré-œdipien, n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon fric ? Voilà l’obscurité de notre texte. Voilà où l’histoire n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Répondre à ce problème c’est trouver la solution de l’histoire.
Il n’y a que deux solutions pour que le propos scandaleux soit celui de Dieu. Soit Dieu est effectivement un salaud. Nous ne le disons pas facilement, spontanément, il y a tout de même un surmoi ! Mais au fond, nous ne sommes pas si étonnés d’une telle possibilité. La preuve, personne n’avait sursauté à la justification scandaleuse offerte par le texte. La toute-puissance de Dieu, pour nous, est compatible avec un arbitraire, injustifié, injuste.
Soit le maître ne peut pas parler autrement. Mais alors quelle est donc la situation du maître pour qu’il ne puisse dire que cela, pour que son propos ne soit pas scandale ? C’est là qu’il faut regarder le texte à la loupe. Excusez le détour par la grammaire, mais vous allez voir, le texte est très explicite.
Vous savez peut-être qu’en grec, comme en latin, il n’y a pas d’article indéfini. On ne dit pas un denier, on dit denier. Ou alors, c’est que l’on compte, un n’est pas deux.
Le maître se met d’accord (en grec, « est d’une même voix », symphonie, c’est la pleine harmonie entre eux, v. 2 et 13) avec les ouvriers à propos d’(un) denier par jour, donc sans article ni numération. Pas une seule fois il n’y a d’adjectif cardinal ; ce qui est pourtant ordinairement requis lorsqu’il s’agit de fixer un salaire ! Voit-on recevoir un ou deux mille ? Et pourtant le texte connaît le mot « un » étrangement placé dans le texte, comme pour attirer l’attention : il dit à l’un d’eux v. 13. Ou encore une seule heure (v. 12). Ensuite, plus rien de précis : ce qui est juste est assuré aux deuxièmes et  troisièmes groupes d'ouvriers, et rien n’est promis aux autres. (2a, 4c, 5d, 7d).
Au verset 9, lorsqu’il faut remettre le salaire, on commence à l’envers et l’on donne (un) denier, toujours sans article. Mais au verset 10, ils reçoivent chacun le denier. Là, il y a, pour la première fois un article et un article défini. La traduction que vous trouvez ci-dessous, celle de Sr Jeanne d'Arc, est la seule que je connaisse qui soit attentive à ce détail. Mais quel détail ? Aux versets 13 et 14, même jeu sur l’article.
Ainsi donc n’y aurait-il qu’un denier à donner, non pas un parce qu’il n’y en a qu’un par personne, c’est-à-dire plus d’un, mais un denier, parce qu’il n’y a qu’un seul denier, le seul, à donner à tous.
Qu’est donc ce denier, le denier, le seul que Dieu puisse donner ? Qu’est-ce que Dieu a donc seulement en un exemplaire, donné à tous, donné tout entier ? Rien d’autre que lui-même. Et comment donnerait-il plus alors qu’il a tout donné. Nous ne sommes pas dans une logique d’accumulation de deniers, mais dans le don total du seul denier, le denier, que le Père possède.

Ainsi donc, si cette parabole veut parler du royaume des cieux, ce qui en est dit ici, c’est juste cela, c’est comme un homme, un maître de maison, qui donne tout, qui se donne, qui se donne en son fils. D’ailleurs tout dans le texte le souligne. Cet homme ne cesse de sortir, à tout heure du jour, y compris au plus chaud de la journée, alors qu’il pourrait bien se faire remplacer, par exemple par son intendant. Mais seul le maître peut sortir et promettre puisque ce qu’il offre, c’est lui-même.
N’allons donc pas imaginer la vie avec Dieu, le royaume des cieux, le paradis, comme une récompense. La vie avec Dieu, elle est possible dès ici, puisque Dieu s’est donné sans réserve. La vie avec Dieu, c’est comme, indépendamment de tout mérite, un don.
Evidemment, tellement accrochés aux mérites, pleins de ressentiment contre ceux qui ne font rien, nous avons du mal à entendre que le salut ne soit pas une récompense mais une offre gracieuse, par pur amour. C’est l’enseignement constant de l’évangile : les prostituées et les pécheurs nous précèdent dans le Royaume ; le Royaume appartient à ceux qui ressemblent aux enfants, ceux qui seuls ne font que recevoir, indépendamment du mérite. C’est la justification par la seule foi dans la thématique paulinienne.
Quel retournement, quelle epistrophè, conversion, que même le texte enregistre par le chiasme de 1930 et 2016 !
Comme toujours les paraboles nous prennent d’abord dans le sens du poil. Elles nous confortent dans notre conception spontanée de Dieu. Ici, il est le juge qui rétribue chacun selon son mérite. Il est normal que l’on parle de salaire, car œuvrer à la vigne de Dieu, nous le considérons comme une charge, voire un fardeau, porté le poids du jour et de la chaleur (v. 12). Vivre avec Dieu, travailler pour lui nous apparaît comme une charge !
Et pourtant, dès le début, le texte nous invite à nous identifier non pas aux premiers, dont pourtant nous partageons la frustration et le sentiment d’injustice à la fin, ou dont nous comprenons si bien, trop bien la réaction. Le texte en effet avait mis en évidence les derniers ouvriers. Ce sont les seuls que l’on entend parler. Ce sont les seuls avec qui il y a une esquisse de dialogue. Le dialogue semble même inversement proportionnel à la précision du contrat. Et, malgré ce privilège textuel pour les derniers, nous nous retrouvons bien plus ressemblants aux premiers.
Finalement donc, contrairement à ce que nous pensons, il n’y a pas d’heure pour Dieu. C’est toujours l’heure pour le rejoindre. Il n’est jamais trop tard, contrairement à la vie et à la mort. Mais s’il ne s’agit pas d’un salaire mais d’une vie avec lui, les premiers peuvent se réjouir de vivre depuis si longtemps avec la promesse de ce don.
On pourra aussi remarquer le vocabulaire. Beaucoup de termes sont repris, ce qui fait que ce sont toujours les mêmes mots, peu nombreux, qui reviennent. Le champ sémantique de la possession est important, donner, recevoir, prendre, rendre. Le royaume est du côté de la gratuité (recevoir et donner) non pas du côté de la propriété (rendre, prendre).

Beaucoup seront
premiers derniers
et derniers premiers !

Car le royaume des cieux est semblable
à un homme, un maître de maison
qui sort avec le matin
embaucher des ouvriers pour sa vigne.
Il se met d’accord avec les ouvriers sur un denier le jour
et il les envoie dans sa vigne.

Il sort vers la troisième heure.
Il en voit d’autres
qui se tenaient sur la place publique, désœuvrés.
Il leur dit :
Allez, vous aussi, dans la vigne :
Je vous donnerai ce qui est juste.
Ils s’ont vont.

De nouveau, il sort vers la sixième
et la neuvième heure :
Il fait de même.

Vers la onzième heure il sort.
Il en trouve d’autres qui se tenaient là,
Et leur dit :
Pourquoi vous tenez-vous là,
le jour entier, désœuvrés ?
Ils lui disent :
C’est que personne ne nous a embauchés.
Il leur dit :
Allez, vous aussi, dans la vigne.

Le soir venu,
Le seigneur de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers,
Rends-leur le salaire,
En commençant par les derniers
jusqu’aux premiers.

Viennent ceux de vers la onzième heure :
Ils reçoivent chacun un denier.

Puis viennent les premiers :
Ils pensent recevoir plus,
Et ils reçoivent chacun le denier, eux aussi.
En recevant,
Ils murmuraient contre le maître de maison en disant :
Ceux-là, les derniers, ont fait une seule heure,
Et tu les fais égaux à nous,
qui avons porté le poids du jour et de la chaleur !

Il répond et dit à l’un d’eux :
Compagnon, je ne te fais pas de tort :
Sur un denier, n’est-ce pas, tu t’étais mis d’accord avec moi ?
Prends le tien et va.
Je veux à celui-ci, le dernier
donner autant qu’à toi :
Est-ce qu’il ne m’est pas permis de faire ce que je veux de mes biens ?
Ou ton œil est-il mauvais
Parce que moi, je suis bon ?

Aussi seront
Les derniers, premiers,
Et les premiers, derniers !



Beaucoup seront
premiers derniers
et derniers premiers !

Car le royaume des cieux est semblable
à un homme, un maître de maison
qui sort avec le matin
            embaucher des ouvriers pour sa vigne.
                        Il se met d’accord avec les ouvriers sur un denier le jour
                                   et il les envoie dans sa vigne.

Il sort vers la troisième heure.
            Il en voit d’autres qui se tenaient sur la place publique,
                        désœuvrés.
                                   Il leur dit :
                                   Allez, vous aussi, dans la vigne :

Je vous donnerai ce qui est juste.
Ils s’ont vont.

De nouveau, il sort vers la sixième
Et la neuvième heure :
Il fait de même.

Vers la onzième heure il sort.
            Il en trouve d’autres qui se tenaient là,
            et leur dit :
            Pourquoi vous tenez-vous là,
                        le jour entier, désœuvrés ?
                        Ils lui disent :
                        C’est que personne ne nous a embauchés.
                                   Il leur dit :
                                   Allez, vous aussi, dans la vigne.

Le soir venu,
Le seigneur de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers,
Rends-leur le salaire,
En commençant par les derniers
jusqu’aux premiers.

Viennent ceux de vers la onzième heure :
Ils reçoivent chacun un denier.

Puis viennent les premiers :
Ils pensent recevoir plus,
Et ils reçoivent chacun le denier, eux aussi.

En recevant,
Ils murmuraient contre le maître de maison en disant :
Ceux-là, les derniers, ont fait une seule heure,
Et tu les fais égaux à nous,
qui avons porté le poids du jour et de la chaleur !
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Il répond et dit à l’un d’eux :
Compagnon, je ne te fais pas de tort :
Sur un denier, n’est-ce pas, tu t’étais mis d’accord avec moi ?
Prends le tien et va.
Je veux à celui-ci, le dernier
donner autant qu’à toi :
Est-ce qu’il ne m’est pas permis de faire ce que je veux de mes biens ?
Ou ton œil est-il mauvais
Parce que moi, je suis bon ?

Aussi seront
Les derniers, premiers,
Et les premiers, derniers !


Beaucoup seront
premiers derniers
et derniers premiers !

Car le royaume des cieux est semblable
à un homme, un maître de maison
qui sort avec le matin
            embaucher des ouvriers pour sa vigne.
                        Il se met d’accord avec les ouvriers sur un denier le jour
                                   et il les envoie dans sa vigne.

Il sort vers la troisième heure.
            Il en voit d’autres qui se tenaient sur la place publique,
                        désœuvrés.
                                   Il leur dit :
                                   Allez, vous aussi, dans la vigne :

Je vous donnerai ce qui est juste.
Ils s’ont vont.

De nouveau, il sort vers la sixième
Et la neuvième heure :
Il fait de même.

Vers la onzième heure il sort.
            Il en trouve d’autres qui se tenaient là,
            et leur dit :
            Pourquoi vous tenez-vous là,
                        le jour entier, désœuvrés ?
                        Ils lui disent :
                        C’est que personne ne nous a embauchés.
                                   Il leur dit :
                                   Allez, vous aussi, dans la vigne.

Le soir venu,
Le seigneur de la vigne dit à son intendant :
Appelle les ouvriers,
Rends-leur le salaire,
En commençant par les derniers
jusqu’aux premiers.

Viennent ceux de vers la onzième heure :
Ils reçoivent chacun un denier.

Puis viennent les premiers :
Ils pensent recevoir plus,
Et ils reçoivent chacun le denier, eux aussi.

En recevant,
Ils murmuraient contre le maître de maison en disant :
Ceux-là, les derniers, ont fait une seule heure,
Et tu les fais égaux à nous,
qui avons porté le poids du jour et de la chaleur !
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Il répond et dit à l’un d’eux :
Compagnon, je ne te fais pas de tort :
Sur un denier, n’est-ce pas, tu t’étais mis d’accord avec moi ?
Prends le tien et va.
Je veux à celui-ci, le dernier
donner autant qu’à toi :
Est-ce qu’il ne m’est pas permis de faire ce que je veux de mes biens ?
Ou ton œil est-il mauvais
Parce que moi, je suis bon ?

Aussi seront
Les derniers, premiers,
Et les premiers, derniers !

20/07/2012

Qui a envie d'être pris pour un mouton ? (16ème dimanche)


Depuis Rabelais et son Panurge au moins, la culture moderne nous a appris à ne guère apprécier d’être traités de brebis. Cela ne nous rend sans doute que difficilement accessible le texte d’évangile (Mc 6,30-34) de ce jour. Que Jésus garde sa pitié ! Que nous fait qu’il soit ému de nous voir comme des brebis sans berger alors que nous avons pour idéal d’être libres ? Que nous fait son émoi si c’est pour nous vouloir brebis ou moutons ?
Le premier Testament (Jr 23,1-6) a largement conscience que les pasteurs du troupeau sont des mercenaires qui profitent des brebis et leur mangent la laine sur le dos. Alors Dieu lui-même se fait le pasteur de son peuple. Je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis. Et le psaume de répondre : Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraiche il me fait reposer.
Les bergers sont ici une métaphore désignant les responsables politiques mais aussi religieux. Mais le pastorat du Seigneur est de nouveau vite délégué : Je leur donnerai des pasteurs qui les conduiront. […] Je donnerai à David un Germe juste : il régnera en vrai roi, il agira avec intelligence, il exercera dans le pays le droit et la justice.
David est le roi pasteur, et son successeur, Jésus, plus encore. Que craindre donc ? Mais voilà, nous ne voulons plus de politiques qui décident pour nous. Et une des graves crises de l’Eglise aujourd’hui réside dans la crise d’autorité vis-à-vis des pasteurs. L’expression qui a perdu au passage son sens métaphorique est devenue technique. On ne veut pas plus de l’autorité des responsables ecclésiastiques. Ceux qui ne contestent pas l’autorité du Pape, c’est souvent parce que, si éloignée, elle ne les gêne guère.
Mais eux aussi ont perdu le sens de l’autorité. Car comme les autres, ils contestent l’autorité du curé, et même celle de l’évêque, dès lors surtout qu’ils ne pensent pas comme lui. Regardez les lefebvristes. On ne fait pas plus modernes. Qui oserait contester le Pape et les évêques comme ils le font ? Faut-ils qu’ils soient bien modernes !
Laissons là la question des bergers. Est-il possible de penser notre humanité perdue sous prétexte que le chemin ne serait pas tracé d’avance ? S’estime-t-elle perdue notre humanité sous prétexte que plus personne ne décide pour elle du chemin ? Que la route soit à inventer est justement ce qui la motive, la tire vers l’avant, la fait progresser. Que la route ne soit pas décidée est l’expression de sa dignité. Sans berger, nous ne sommes pas perdus. Nous ne connaissons peut-être pas le terme. Mais cela ne signifie nul égarement.
C’était plutôt la croyance en un sens établi, une vérité valable toujours et partout, et pour tous, qui était l’erreur, l’errance. La vérité aujourd’hui se décline aux milles reflets de ses possibles. Nous ne l’avons pas davantage abandonnée que nous serions abandonnés et perdus. Nous voulons lui être fidèles dans sa richesse.
Comment entendre, dans ce contexte, dans le contexte qui est le nôtre, que l’on parle de pasteurs, que Jésus soit ému aux entrailles, bouleversé, à voir les foules comme des brebis sans berger ? Ne fallait-il pas mettre en évidence le changement de contexte pour se prémunir des contre-sens ?
Connaissez-vous un pasteur qui soit brebis, mieux encore, agneau ? Connaissez-vous un roi qui soit serviteur, mieux encore, esclave ? Connaissez-vous un dieu qui soit homme, mieux encore, mort ignominieusement ? Si un tel pasteur, roi ou dieu existait, il est à parier que personne n’y croirait, que de suite on le remettrait sur son trône, que de suite, on lui offrirait des sacrifices. Il faut un pasteur, un roi, un dieu qui refuse d’être tout cela pour que nous soyons débarrassés, non pas de lui, mais de nos bassesses à le charger de nos problèmes, à nous en faire de nouveau les esclaves. La superbe parabole des arbres, aux livres des Juges (chap 9), doit être relue.
Il faut que dieu se retire, que dieu disparaisse. Et c’est ce que nous vivons. Alors un tel pasteur qui ne risque pas de conduire des brebis ou des moutons, libère le peuple. Car il est vrai aussi que notre humanité est perdue. Mais non pas de n’avoir point de pasteur. Seulement d’user du pouvoir pour humilier le faible et s’autodétruire.
Il faut un agneau qui se fasse tuer pour porter le péché du monde. La liberté de l’homme et celle de Dieu, contre d’abord l’idée que l’homme s’en fait lui-même, croissent en même proportion. L’homme n’est jamais aussi libre que lorsqu’il s’abandonne au dieu qui a lui-même renoncé à sa divinité. Le Christ Jésus, qui était dans la condition de Dieu, ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur.

Seul un tel Dieu est effectivement pris aux entrailles de nous voir nous perdre, non de n’avoir pas de berger, mais de nous tuer. Seul un tel Dieu peut être pasteur parce qu’il est agneau, roi parce qu’il est esclave.

18/07/2012

Morale catholique, lois de la République et mariage gay

René Pujol est à l'origine du blog A la table des chrétiens de gauche. Cela se présente comme un lieu de réflexion sur la politique française. Pour l'heure, un article sur l'homosexualité et euthanasie, questions à propos desquelles le nouveau gouvernement a prévu de modifier le cadre légal. Je reproduis le texte que j"ai envoyé en commentaire au texte de R. Poujol.

Je me permets une réaction en quatre moments : 1. De l’opportunité de se dire chrétiens de gauche ; 2. De l’opportunité de traiter ensemble de questions fort différentes posées à la société ; 3. Du rapport entre légal et moral et du statut minoritaire des chrétiens dans les sociétés occidentales ; 4. De l’homosexualité

1. Se positionner comme « chrétiens de gauche » me paraît relever davantage de la stratégie pour espérer se faire un peu entendre de la nouvelle majorité. Je ne suis pas à gauche comme de nombreuses autres personnes dont les propos me donneraient plutôt envie de voter à droite. Je ne lis jamais le Figaro, parfois Libé, plus régulièrement Le Monde, toujours La Croix.
Surtout, je ne suis pas à gauche ou de gauche comme je suis chrétien parce que l’être chrétien n’est pas affaire de positionnement idéologique (adjectif que je veux employer ici dans son sens le plus positif). D’une part, être chrétien relève du chemin, de la marche, de l’aventure, odologie plutôt qu’idéologie ; pas sûr qu’il y ait un corpus idéologique ; pour s’en convaincre, il suffit de regarder les choses à distance. Grégoire XVI et la condamnation de la liberté religieuse, la première édition du catéchisme de l’Eglise catholique et la peine de mort, tout cela a été balayé ! D’autre part, je me dois, comme baptisé, d’être d’Eglise c’est-à-dire en outre d’être en communion fraternelle et véritable avec des gens avec lesquels je ne partage sans doute pas grand-chose culturellement, politiquement, sociologiquement, etc. si ce n’est le fait d’avoir répondu à l’amour que nous avons la grâce de pressentir.
Il est vrai, j’ai moins de mal à parler de cathos de droite que de chrétiens de gauche, peut-être parce qu’un certain nombre d’entre eux me paraissent justement réduire, dans les faits et dans les discours, leur catholicisme à un marqueur idéologique voire sociologique. Parler de la foi comme d’une aventure ou d’une quête, ce serait déjà d’après eux avoir renoncé à la vérité, d’où la mission dont ils s’estiment chargés de défendre cette vérité dans un monde qui la conteste.
S’il faut écrire au gouvernement, j’aurais davantage envie de le faire avec des cathos de droite (j’ose donc parler ainsi) pour formuler ce que nous pouvons penser de questions de sociétés. Le comportement de quelques uns d’entre eux, auxquels j’ai pu me frotter sur la toile et qui semblent rendre impossible toute discussion, n’est qu’une tempête dans un verre d’eau, qui peut causer des dégâts, mais demeure au final marginal.

2. Quel rapport entre homosexualité et euthanasie si ce n’est qu’il s’agit de questions de société, ou plutôt de questions pour la société actuelle ? Pourquoi en parler dans le même texte si ce n’est parce que nous réagirions comme les gens de droite, ou de gauche, à tout mettre dans le même sac, mais justement, il n’y a pas de même sac. La ligne épiscopale française, moins dure que ce que l’on a pu lire sur certain sites des « cathos de droite » qui en appelaient aux points non-négociables, ne peut être que « non » sur toute la ligne tant que l’on mettra toutes ces questions dans le même sac. On ne va pas répéter un discours dont on sait déjà qu’il ne convainc, quelle que soit sa pertinence, que ceux qui sont déjà convaincus !
Les adeptes des points non-négociables n’ont pas de mal à traiter toutes ces choses de la même manière, à la suite de Jean-Paul II qui est l’introducteur de l’expression si ma mémoire est bonne. Ils recourent à un argument dogmatique, descendant : des principes doivent s’appliquer et plier la réalité à leurs forces principielles.
On se demande juste comment ces principes sont connus. On les sauve par une mythologie de la révélation ou de l’infaillibilité pontificale. Le Pape a dit. On oublie juste que le Pape a aussi dit que la faim et les inégalités Nord-Sud par exemple étaient tout aussi inacceptables, non négociables, et que leurs responsables portaient un lourd péché. Jean Paul II s’est hasardé à parler de structure de péché, ce que d’aucuns ont guère apprécié. Quant à la révélation, loin de moi l’idée de la contester, mais d’une part ce terme, au sens de contenu de vérités, entre en théologie fort tardivement (dans des contextes polémiques, d’abord entre protestants et catholiques, puis au nom d’une raison qui est de plus en plus autonome) et d’autre part pourrait n’être que peu opportun (voir à ce sujet les discussions autour de la rédaction de la constitution conciliaires Dei Verbum). La grande tradition n’entend pas la révélation comme un contenu de vérités téléphonées du ciel, mais comme l’acte de Dieu qui se fait connaître. La révélation, ce n’est pas des vérités à appliquer, c’est Dieu lui-même en tant qu’il se donne (à connaître).

3. L’état de minorité du catholicisme et du christianisme dans notre société rend inéluctable que les prétendues valeurs chrétiennes ne soient plus forcément celles de l’ensemble de la société. Encore que sur ce sujet, ceux qui réclament le mariage homo et l’adoption par des couples homos se fassent défenseurs de la famille, cellule stable fondée sur un contrat entre deux adultes comme cadre privilégié pour accueillir et élever des enfants. A l’heure où l’institution matrimoniale ne fait guère recette, il faut sans doute le souligner. La stabilité conjugale apparaît encore comme un projet de vie désirable. Bonne nouvelle !
De plus en plus, selon toute vraisemblance, et d’abord pour des raisons de confort financier, de liberté individuelle plus que d’idéologie, la morale chrétienne ne pourra que reculer.
Bon, il faudrait s’entendre sur l’opportunité et la pertinence de la morale chrétienne. Je la conteste fort souvent, philosophiquement et théologiquement. Je me contente d’un argument évangélique : Jésus n’est pas venu pour les bien-pensants, les gens biens. Qu’il mange avec les publicains et les prostituées scandalise.
Les « très croyants mais pas pratiquants » réduisent de trop à mon goût la foi chrétienne à des valeurs. Mais je reconnais aussi qu’ainsi, ces valeurs sont de fait largement partagées : amour d’autrui et respect, droit à la liberté, sens de la justice et du pardon, respect de la création. N’est-ce pas aussi une bonne nouvelle que tout cela soit reconnu comme vérité, indépendamment même de la foi ? On devrait le souligner. Cette morale n’est ici pas, ou pas d’abord, ou pas seulement chrétienne. Ce qui oriente l’action de la majorité des humains leur est grandement commun. Quant au fondement de la morale, c’est une autre question, certes importante, mais qui pragmatiquement, la plupart du temps, n’interfère pas dans la définition  de la visée du bien commun.
Mais alors que se passe-t-il si la dite morale chrétienne est contestée dans les lois de la République ? D’une part, elle n’est pas contestée dans les lois. En effet, ce que la loi rend possible, légal, elle ne le rend pas moral pour autant. On peut aujourd’hui penser que la loi qui rend légal l’avortement est nécessaire tout en pensant que l’avortement n’est pas moral. On peut même trouver cette loi indispensable. Ce n’est pas d’interdire l’avortement qui fait que l’on n’y recourt pas. Est-ce que cela, au contraire, favorise le recours ? C’est possible. Mais l’on sait qu’aucune loi ne peut se prévaloir d’être la bonne ; qu’en matière de droit, il faut pragmatiquement viser au moindre mal ; que rêver un homme parfait est la source de tous les dangers ; qu’imposer la vertu par la loi est le fait, d’ailleurs vain, des dictatures. Autre exemple, nombre des lois qui régissent la finance sont immorales, mais les intérêts sont tels que l’on fait mine de s’en accommoder ou de ne pas le savoir, ou de prétendre que l’on ne peut pas faire autrement. Et cela ne déclenche guère l’assaut au nom des points non-négociables ou en vue d’actions concertées des chrétiens vis-à-vis du gouvernement.
La loi ne peut contraindre personne à être bon, à chercher la vie bonne. C’est toute la question du rapport entre morale et philosophie politique. Y aura-t-il forcément conflit (thèse platonisante) ou doit-on voir le politique comme ce qui permet d’éviter le conflit (thèse aristotélicienne) ? Lorsque la politique prétend imposer la vertu elle commet un abus de pouvoir, la loi devient scélérate et cause de révolte. Gare aux Savonarole !
Certes, on ne saurait accepter que devienne légal tout ce qui existe dans la société. La loi, par les interdits, n’est pas absolument hétérogène au moral. La loi se doit, ou devrait se devoir, d’interdire ce qui attente à l’humanité de l’homme. Attente-t-on à l’humanité de l’homme à autoriser un contrat d’union à deux personnes du même sexe pour traverser la vie ? Cela me semble difficile à soutenir.
Le recours à la loi naturelle est une fumisterie aux relents d’intégrisme. C’est le discours d’une partie des romains notamment qui voudraient trouver dans la nature une objectivité, et donc un intangible, pour la morale. Il est évident que la nature est source de violences que la culture tente de contenir et qu’elle ne saurait être utilisée comme source de la norme, car c’est encore la morale qui détermine quand la norme est en outre conforme à la nature.
Les catholiques de plus en plus n’useront pas de possibilités offertes par la loi par fidélité à leur foi. C’est officiellement (!) ce qui se passe pour la possibilité que donne la loi de contracter un nouveau mariage après un divorce, de recourir à l’avortement, mais aussi de faire de la spéculation au mépris du bien commun, etc.
Les chrétiens devront non pas faire de cette exception la raison d’un repli communautaire (ils auraient des lois différentes), mais, reconnaissant le cas échéant l’opportunité de ces lois tout en considérant comme contraire à la morale ce qu’elles rendent possible, ils devront recevoir à nouveau leur vocation de sel de la terre et lumière des nations pour tenter de faire entendre un évangile de libération. Faire entendre une promesse de libération ne signifie plus du tout instaurer une chrétienté, une société chrétienne.
Enfin, sur ce point du moins, se démener contre le cours de l’histoire, quoi qu’il en soit de nos convictions, n’est-ce pas refuser le deuil de la chrétienté, que l’on soit de gauche ou de droite ? Cette question, j’en ai conscience est dangereuse car elle pourrait justifier une démission de notre vocation prophétique. Cependant, il me semble qu’il y a tellement plus urgent comme lutte pour la justice et la vie des hommes dans le monde de ce temps, que j’ose maintenir ma question.

4. Sur l’homosexualité et l’adoption par des couples de même sexe.
Quel est le problème pour les chrétiens ? Jusqu’à preuve du contraire l’homosexualité n’est pas contagieuse. On ne devient pas homo de père en fils ou par fréquentation de personnes homos. La visibilité des homos pose des problèmes parce qu’il faut avancer un discours à leur sujet, par exemple pour expliquer aux enfants. Il me semble que c’est la carence de nos discours qui fait problème et non l’homosexualité.
L’homosexualité refoulée de ceux qui se sont mariés par obligation sociale et ou déni personnel cause de graves dommages, non seulement à la personne homo qui vit dans le mensonge (cf. par exemple M. Yourcenar, Alexis et le traité du vain combat) mais aussi à son conjoint et pire encore aux enfants. Si le sujet demeure tabou, voilà qui ne saurait construire des personnes saines. On sait que le tabou n’est jamais source de croissance humaine. Si la chose est connue, entrainant par exemple le divorce du couple pour que le partenaire homo rejoigne un nouveau conjoint du même sexe, outre le traumatisme du divorce, on brouille les pistes de la sexualité de façon encore plus violente que si dès le début, le couple est constitué de deux personnes du même sexe, bien obligées de trouver des mots pour dire ce qu’elles vivent.
On s’accordera sans peine à estimer le discours ecclésial romain insensé qui exige la continence des personnes homosexuelles. Qui fait l’ange fait la bête. Quoi que l’on pense de l’homosexualité, la continence sexuelle ne peut être vécue de manière humanisante qu’à être choisie, peut-être sous la contrainte des circonstances, mais choisie tout de même, ou du moins consentie.
Parler comme certains psy et leurs épigones cathos (trop heureux de trouver dans une discipline que leurs pères avaient tant combattue un des rares alliés fréquentables et de surcroît plus ou moins revêtu de l’autorité de la science) de sexualité non-mature à propos des homosexuels est une des fumisteries les mieux partagées, un sophisme qu’il faut dénoncer. Le bon Lacan était là-dessus sans doute plus bourgeois qu’analyste et il y a de quoi rire à le voir devenir une référence pour la théologie morale ! (Sans mettre tous les psy dans le même sac, ce que mes rencontres avec certains m’interdit de faire, on doit bien reconnaître sociologiquement, que leur appartenance à la société bourgeoise est majoritaire, depuis Freud, et que rien ne nous garantit a priori que cette appartenance ne trouble leur jugement, ce qui est reconnu à propos de Freud lui-même.)
Pour le dire autrement, formulation moins subtile (mais encore plus répandue dans les milieux anti mariage homo, qui bien sûr ne sont pas homophobes) les homos seraient des handicapés de l’altérité. Il me semble que tant que l’on n’a pas un très proche (enfant, parent, ami intime) homo, on ne sait pas de quoi l’on parle. Il est des homophobes dont on ne peut qu’espérer qu’ils n’auront pas d’enfant homo (l’association « Le refuge », à Montpellier devrait être entendue sur ce sujet). On parle de l’altérité mais on n’a pas pris le temps du détour de la rencontre avec l’altérité de l’homo. Je crois que Paul Ricœur en a été malheureux jusqu’à la fin de ses jours, blessé à jamais par le suicide de son fils Olivier. Il avait parlé de l’altérité ; je crois bien qu’il n’avait pas vu que l’homosexualité est une altérité.
Sophisme, car qui peut parler de sexualité mature ? Suffirait-il qu’il y ait un homme et une femme pour que la chasteté régisse leurs rapports, le respect de l’autre y compris dans son corps, la quête du bonheur de l’autre ? Combien de relations sexuelles ne sont que des masturbations déguisées (Cf. L. Israël, Boiter n’est pas pécher) ? Et d’après Lacan, il n’y a pas de relations sexuelles ; des coïts, si ! La relation est un horizon. Que le couple soit homo ou non, la relation sexuelle est un équilibre si fragile qu’il faut toute une vie pour apprendre à le tenir.
Pas sûr que sur ce chemin, les homos soient moins bien placés que les autres. Ils pourraient même, compte-tenu de leur minorité, de l’exigence de réflexion sur la sexualité qui leur échoit, détenir un savoir faire. Je me suis mal exprimé, car il est impossible de mettre tous les homos dans le même sac. Il se pourrait que certains d’entre eux, à l’image de ces couples qui ont traversé ensemble des années de vie commune, détiennent un savoir faire de l’altérité, une manière d’être, qu’on ferait bien d’écouter.

5. Je rajoute un point après la lecture d’un texte de J. Rigal. (http://chretiensdegauche.com/2012/07/11/mariage-homosexuel-adoption/). La symbolique homme-femme serait-elle contestée par le fait qu’il y ait un couple homo ? Je ne le crois pas. Le mariage homo n’a jamais prétendu vouloir supprimer le mariage entre un homme et une femme. Comment pourrait-on le penser ? Faut-il alors que toute différence soit vécue comme une concurrence ? Si l’on veut bien ne pas oublier que l’on ne choisit pas d’être homo, la symbolique homme-femme n’est pas plus diminuée par le mariage gay qu’elle ne le serait pas la vertu de la continence. La Genèse n’a pas interdit en christianisme le célibat consacré alors qu’il est écrit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul. On arrivera aussi à penser l’altérité même si elle n’est pas vécue entre un homme et une femme tout en continuant à lire la Genèse ! Certes, dans l’histoire idéologique de l’Eglise, on a parfois pensé que le célibat valait mieux que le mariage, qu’une forme de sexualité relativisait l’autre. Mais si on est aujourd’hui convaincu que continence pour le royaume et mariage s’enrichissent et s’éclairent mutuellement plutôt qu’ils ne s’opposent au profit de la prétendue grandeur du célibat consacré, on pourra l’être tout autant d’une nouvelle différence, ou plutôt de la reconnaissance nouvelle de cette différence.
Car l’homosexualité n’est pas affaire nouvelle, mais seulement la place qu’on lui reconnaît dans la société. Et l’égalité ici est juste le droit à ne pas devoir se taire parce qu’on n’est pas comme la majorité.
Quant au droit à l’enfant, il est clair pour moi qu’il n’existe pas. L’enfant n’est pas un bien que l’on se procure comme de la pate dentifrice. Mais je distingue ici deux questions. D’une part, celle pour un couple homo, donc biologiquement stérile, de parvenir à concevoir. Ici ma réflexion est la même que pour tous les couples et la procréation médicalement assistée. Pour le dire rapidement, le recours à la fivette homologue ne me paraît pas contraire à la morale, du moins pour autant qu’on ait bien clarifié qu’il n’y a pas de droit à l’enfant. Mais ce recours est impossible pour les couples gays (et pour les lesbiennes, il s’agirait d’une fivette non-homologue qui suppose un don de sperme, guère plus possible selon moi).
Mais, d’autre part, la possibilité pour des couples homos d’avoir des enfants se pose, pour le moment du moins, d’abord autrement. On parle d’ailleurs d’adoption. La plupart du temps, les enfants des couples homos sont les enfants d’une union précédente de l’un ou des deux conjoints. Il s’agit de donner à l’un des deux parents du couple homo, couple alors recomposé, l’autorité parentale sur les enfants de son conjoint (statut du beau-parent). Pour l’heure, mais il est vrai que le recul que nous avons n’excède guère une génération, il ne semble pas que ces enfants connaissent des difficultés liées à cette situation, et s’ils ont a souffrir du couple de leur parents, c’est de la mésentente des parents, homo ou non, ou du mensonge du parent qui cache qui il est.
Pourra-t-on permettre qu’un couple homo accueille des enfants comme d’autres couples, recueillant des enfants qui n’ont plus de parents ? Je ne sais pas. Je reconnais être au moins autant réservé quant à la possibilité donnée par la loi à des célibataires d’adopter des enfants. (C’est d’ailleurs par ce biais qu’actuellement des homos peuvent adopter et souhaiteraient ensuite que leur conjoint puisse partager l’autorité parentale.)

Je m’arrête là parce que j’ai déjà été trop long. Je ne prétends pas avoir rassemblé tous les arguments qui devraient être pris en considération. J’ose apporter quelques éléments au débat..



14/07/2012

Aimés dès avant la création du monde (15ème dimanche)


L’épitre aux Ephésiens est un texte que l’on date des années 75 de notre ère. Paul est mort depuis une dizaine d’années. La datation est certes discutée, mais on s’accorde aujourd’hui pour faire de la lettre un texte de tradition paulinienne, mais non de la main de Paul, pas même écrit de son vivant.
Sa thématique demeure fort proche des textes de Paul, c’est incontestable. Mais elle est aussi proche des épîtres pastorales, de la fin du premier siècle, assurément non pauliniennes. On peut voir cela par exemple en étudiant le vocabulaire et les propos quant aux ministères.
Le texte que nous venons d’entendre ouvre l’épitre après les versets de salutation (Ep 1,3-10). Il s’agit d’une hymne, d’un chant de bénédiction. Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus, le Christ
Certains ont voulu dater encore plus tardivement l’épitre à cause de cette hymne et de la théologie qu’elle contient. Pourtant, il faut en convenir, cette théologie est antique, peut-être plus ancienne que l’épitre elle-même si l’hymne a été reprise d’un usage liturgique. Qu’est-ce qui étonne dans cette hymne ? L’affirmation de l’existence du Fils dès avant la création du monde.
Pour nous qui avons trop peu le sens de l’histoire, en particulier le sens de l’histoire de la dogmatique chrétienne ‑ comme si les chrétiens avaient toujours cru de la même manière depuis la mort et la résurrection de Jésus, comme si le catéchisme que nous avons appris était sorti tout droit de la prédication de Jésus ‑ pour nous donc, que Jésus soit dit de toute éternité celui qui réalise le dessein du Père, n’a rien d’étonnant, sans que cela fasse forcément sens pour nous !
Mais si nous nous mettons dans la peau des hommes du premier siècle, ceux qui ont rencontré Jésus, ceux qui dans les décennies qui suivirent en entendirent parler, Jésus, c’est l’évidence même, est un homme. Que peut-on rencontrer sur les routes de Palestine d’autre que des hommes ? Surtout pas un dieu.
Au quatrième siècle les conciles diront de Jésus qu’il est vrai homme et vrai Dieu. Notre profession de foi, dite de Nicée Constantinople, en porte la trace. Mais nous avons fini par oublier l’humanité de Jésus au profit de sa seule divinité, à l’inverse de ce que beaucoup ne pouvaient que faire durant les premières décennies chrétiennes, voir un homme et avoir du mal à soupçonner qu’il s’agît d’un dieu.
L’hymne que nous avons lu affirme, dès les années 70, de façon assez claire, sans qu’il faille attendre le quatrième siècle, la préexistence de Jésus à sa vie humaine. D’où vient cette tradition ? Comment a-t-elle été possible ? On peut penser à l’importance de textes du premier testament, par exemple du livre de la Sagesse ou des Proverbes. Mais c’est un fait, Jésus, l’homme de Palestine, est ici chanté comme celui en qui le Père nous a choisis pour la vie.
A la source de la profession de foi s’exprime ce qui fait aujourd’hui le cœur de la foi, et que le quatrième siècle a solennellement défini. Plutôt que de conjecturer des influences scripturaires ou culturelles, le texte lui-même indique les raisons de cette christologie, peut-être pas première, mais très primitive. Et ces indications valent encore pour la théologie aujourd’hui, devraient encore valoir pour notre compréhension de la foi.
Ce qui est dit de Jésus est concomitant, peut-être même est commandé par la bonne nouvelle de salut nous concernant. Ce texte, si l’on peut dire, avant d’être christologique est sotériologique. Pour ces premières générations de chrétiens, parler de Jésus ce n’est pas tenir un discours indépendant de ce qui nous concernerait, mais c’est articuler sur ce que l’évangile dit de ce Jésus, le dessein éternel de Dieu, notre bonheur, dont nous avons connaissance par Jésus.
Dès avant la création du monde, Dieu nous a choisis, Dieu nous a aimés. Dès avant la création du monde, nous sommes prédestinés à sa vie, à vivre avec lui, à vivre de lui. De toujours à toujours, le dessein de Dieu est l’adoption filiale de tous les hommes. Ce dessein d’amour nous est connu, plus encore est inscrit dans le fils. Je cite : En lui,  il nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et irréprochables sous son regard. Il nous a d'avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ.
Si pardon des péchés il y a, il n’est pas à l’origine du dessein divin. C’est comme une conséquence semble-t-il que l’on évoque le pardon. D’abord, il y a un projet d’amour que rien n’arrête pas même le péché. Le Fils ne débarque pas dans l’histoire des hommes à cause du péché. Elle n’est pas heureuse la faute qui nous aurait valu un tel rédempteur, car quoi qu’il en soit de cette faute, le projet d’adoption filiale lui est antérieur. Avec ou sans la faute, la vie divine qui nous est promise est l’origine même de la création et de l’amour éternel du Fils par le Père. L’engendrement éternel du Fils est le projet d’adoption de l’humanité. Voilà l’évangile de ce jour. Voilà l’évangile de notre baptême.
Ce projet de vie, de don de vie, est déjà réalisé. Déjà l’Esprit de Dieu nous habite et c’est par lui que nous respirons, que nous sommes gorge vivante, comme dit le récit de la création. Je cite une dernière fois : Dans le Christ, vous aussi, vous avez écouté la parole de vérité, la Bonne Nouvelle de votre salut ; en lui, devenus des croyants, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit que Dieu avait promis, c'est la première avance qu’il nous a faite sur l’héritage dont nous prendrons possession au jour de la délivrance finale, à la louange de sa gloire.

06/07/2012

Une écharde dans la chair (14ème dim. du temps)


J’ai dans ma chair une écharde. (2 Co 12,7-10) Que n’a-t-on pas fait dire à cette confession ! Les interprétations à connotation sexuelle se sont multipliées. Paul aurait eut un appétit sexuel insatiable. Mais soyons sérieux, si Paul n’a rien d’autre à se reprocher que sa fringale sexuelle, il n’y a pas de quoi parler d’une écharde dans la chair, tout juste une démangeaison, une irritation superficielle de la peau !
Faut-il être obsédé par le sexe et la pureté pour imaginer d’un homme dont rien ne nous est rapporté par ailleurs sur son goût pour les femmes, les hommes ou l’onanisme, qu’il était soumis à une véritable torture. Les interprètes parlent davantage d’eux-mêmes que de Paul. L’obsession de la pureté sexuelle tourne à la dépravation ! Les saintes-nitouches cachent trop souvent des pervers.
Si nous devons imaginer ce qu’est cette écharde, il faut aller dans une autre direction, celle de la culpabilité, celle que par exemple Dostoïevski a explorée. De quoi donc se sentir indélébilement coupable ? Du viol d’un enfant ? D’un viol ? Voyez que je n’écarte pas le sexe a priori. Pour Paul, il n’y a pas besoin d’aller loin pour comprendre. C’est le crime, la délation, l’arrestation d’innocents, leur meurtre.
Comment être en paix avec sa conscience quand on a livré des innocents à la prison voire à la mort, et que, de surcroît, on se pose depuis comme défenseur de la foi de ceux que l’on a persécutés. Je ne prétends pas à la reconstitution historique. Je ne sais rien de cette écharde dont parle Paul. Je sais que ce que nous en comprenons parle davantage de nous qui cherchons à comprendre. Je nous vois avec nos propres culpabilités, les fautes que nous regrettons vraiment, dont nous avons encore honte, toujours honte, dont nous n’arrivons pas à nous défaire, qui nous font nous détester.
Nous avons-nous aussi peut-être une écharde dans la chair, c’est-à-dire au plus profond de notre être, ce que nous appellerions aujourd’hui la conscience. Il faut, je le redis, relire Dostoïevski, Crime et châtiment, Les frères Karamazov, L’Idiot, etc. Bonnes lectures d’été. L’écharde dans la chair, c’est notre histoire avec le mal, notre pacte avec le mal, ce poids sur la conscience. Même le vocabulaire de la conscience demeure matériel et sensible, un poids dit-on.
Mais le texte de Paul ne s’arrête pas sur cette écharde. Il ne la nomme même pas, d’où les supputations les plus folles. Cette écharde est l’occasion d’un évangile, d’une bonne nouvelle. Et si nous aussi nous sommes de ceux que la faute rattrape, ce que l’on appelle la culpabilité, alors, il y a un évangile pour nous. Non pas la magie d’un coup d’éponge. L’écharde est dans la chair, comme l’œil d’Abel qui était dans la tombe et regardait Caïn : malgré la demande d’en être débarrassé, elle demeure. Elle ne peut être ôtée, et tel n’est pas ce qui importe.
Un évangile est annoncé : Ma grâce te suffit. Evangile si bref que nous ne l’avons sans doute pas entendu, qu’il faut le répéter, Ma grâce te suffit, où lui donner des variations, telle celle de Bernanos. « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »
Cette écharde nous mène jusqu’à la détestation de nous-mêmes, la mésestime de soi. C’est alors notre orgueil qui mène encore la danse. Car aussi grosse que soit l’écharde, aussi profondément fichée en la chair, s’en occuper c’est se préoccuper de soi. L’évangile de la grâce annonce une libération. Non pas le laxisme, une fois encore l’écharde n’a pas disparu, mais la possibilité quand ce n’est pas le devoir d’avancer. Ma grâce te suffit, s’aimer comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.
S’il s’agit de mésestime de soi, de haine de soi, l’écharde n’est pas que faute mais aussi culpabilité non coupable, de celle que ressent la victime d’une agression, je pense aux rescapés de la Shoah, aux victimes des pédophiles et des viols. Nulle faute et pourtant l’horreur de soi, le dégoût de soi qui ne trouve à s’exprimer que dans la faute, dans l’endossement de la faute. Jésus a bien pris sur lui nos péchés, agnus Dei qui tollit pecata mundi. La victime peut porter mortellement la faute de son bourreau.
Alors il faut continuer à lire Paul. Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. Pareil propos n’est accessible, n’est compréhensible que par celui qui est rongé par le remords de son crime ou miné par le crime dont il a été victime. Les autres n’y entendent rien. C’est comme aux béatitudes, on ne peut rien entendre si l’on est content de soi et du monde. Bêtement content oserais-je dire, me laissant aller à quelque ressentiment que je sais pourtant vain, coupable et mortifère, qui signe encore mon refus de conversion. Heureux ceux qui pleurent. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Heureux serez-vous si l’on dit toute sorte de mal contre vous à cause de moi.
Oui, c’est cela l’évangile des béatitudes. Ma grâce te suffit.


Que l’Eglise du Seigneur soutienne ceux qui sont les plus faibles, victimes des haines et de l’oppression, de la guerre et de la maladie.

Que la communauté humaine s’organise sans ressentiment pour que les plus faibles soient accompagnés, aidés. Nous pourrons dénoncer l’assistanat lorsque nous aurons expressément lavés les pieds des plus pauvres.

Que notre communauté permette à chacun de se présenter tel qu’il est, notamment avec ses faiblesses. Que n’importe pas l’image qu’il faut donner de soi, mais la vérité de notre vie.