28/12/2013

Lazos familiares o adopción. La Sagrada Familia

La fiesta de la Sagrada Familia se utiliza hoy como bandera de una concepción de la familia. Un niño tiene derecho a un papa y una mamá, es decir a un ambiente afectivo y social estable que le permita desarrollarse y encontrar su sitio en una red de diferencias sexuadas y generacionales.
Michel Serre, filósofo francés, escribió el pasado invierno un artículo sobre el modelo de la familia que se puede leer en los evangelios. Y no podemos decir que su análisis falte de pertinencia, aunque por supuesto, no podrá satisfacer a los que consideran que así el modelo de la familia que defienden no es respectado.
No vuelvo sobre este modelo de un papá y de una mamá para todos los niños. No porque el debate me parezca cerrado, sino porque ya suscitó bastante agresividad. De modo increíble entre hermanos, nos peleamos, nos insultamos, nos ignoramos. Denigramos a nuestro hermano en cuanto no recurrimos a la calumnia para rechazar más su posición. En nombre de la alteridad que hay que defender, de la diferencia reconocida como estructurante entre el hombre y la mujer, somos incapaces de aceptar la diferencia de pensamiento.
Vuelvo más bien sobre este artículo, o más bien sobre el análisis de la familia tal como Michel Serre lo lee en los evangelios, en particular en los evangelios de la infancia. Lo resumo en una idea. El nacimiento de Jesús narrado por medio de la concepción virginal rompe los lazos de la sangre a favor del modelo de la adopción.
La palabra maestra es la adopción. Y esto sobrepasa los evangelios para encontrarse particularmente en san Pablo. La adopción expresa la relación que ata el Padre a todo hombre, por el Hijo, primer nacido (de entre los muertos). La adopción siendo el nuevo nombre de la alianza, aunque ya se podía leer, por ejemplo en el maravilloso capítulo 11 del profeta Oseas. “Cuando Israel era niño, yo lo amé, y desde Egipto llamé a mi hijo. Con todo, yo enseñaba a andar a Efraín, cogiéndole en brazos; pero ellos no comprendieron que yo los cuidaba. Con lazos humanos los atraje, con lazos de amor; fui para ellos como los que alzan el yugo de sobre su cerviz, y puse delante de ellos la comida.”
La palabra adopción se encuentra cinco veces en los escritos de san Pablo. Se debería traducir por filiación. El Padre hace de nosotros sus hijos. Así se manifiesta nuestra nueva naturaleza, muy alejada de una pertenencia a un pueblo por la sangre, como era y es todavía con el pueblo de Israel. La naturaleza ya no tiene nada con la familia, con el linaje, sino sólo con el libre amor de Dios, ahora manifestado en una universalidad radical como el amor de Dios para el pueblo judío.
José amó aquel que llamaba hijo suyo, enseñándole a andar, cogiéndole en brazos. Con lazos humanos le atrajo, con lazos de amor; fue para el como los que alzan el yugo de sobre su cerviz, y puso delante de él la comida. El evangelio de Mateo cita así al profeta, desde Egipto llamé a mi Hijo. José sin embargo no es padre por la sangre. La virginidad de Maria, tanto valorizada por todos los cristianos, expresa esta rotura en los lazos de la sangre. Se trata de la parábola de la alianza nueva sellada por Dios con todo hombre precisamente por la filiación, por la adopción.
Sabemos cuán importantes son los lazos familiares que, sin embargo, no son los escogidos por Dios. Sabemos que son en España una protección a menudo única y por lo tanto indispensable contra la crisis. Pero Dios no ayuda más a su hijo que a su vecino, si asi se puede decir, o más bien, Dios no tiene vecinos sino sólo hijos.
Puesto que la familia, el clan, es también, a veces, a menudo, un encierro, más bien que un infierno. Es también lo que puede justificar la cuantidad de guerras. Lo que pasa en Siria como en numerosos países de África, a falta de ser la consecuencia de los lazos de la sangre, se desarrolla sobre un mantillo familiar que la virginidad de Maria interrumpe. Esa madre engendra fuera de los lazos de la sangre, de la naturaleza, para que su hijo sea adoptado, nacido primer hijo, primer nacido de los muertos. ¡No habíamos previsto que la concepción virginal escondiese tal potencia revolucionaria!
Para luchar contra todo racismo, para trabajar hacia una mundialización que no sea esclavitud en beneficio de un liberalismo sin alma, sino una fraternidad universal ¿no sería oportuno recordar que la familia de Jesús es una madre virgen, un padre adoptivo, parábola de una alianza nueva, la de la nueva filiación, de la adopción divina? Este es una manera de leer la universalidad de la buena noticia de Navidad. El Hijo en su engendramiento certifica para cada hombre la verdad de la alianza, de la filiación, de la adopción por el Padre del cielo.

27/12/2013

Liens familiaux ou adoption. La Sainte Famille

La fête de la sainte famille est utilisée aujourd’hui par certains catholiques et évêques comme bannière de leur conception de la famille. Un enfant a droit à un papa et une maman, entendons un cadre affectif et social stable qui lui permette de se développer et de trouver sa place dans un réseau de différences sexuées et générationnelles.
Michel Serre, philosophe français, a écrit cet hiver un article sur le modèle de la famille tel qu’il le lisait dans les évangiles. Et l’on ne peut pas dire que son analyse manque de pertinence, même si bien sûr, elle ne pourra satisfaire ceux qui estiment qu’ainsi le modèle de la famille humaine qu’ils défendent n’est pas honoré.
Je ne reviens pas sur ce modèle d’un papa et d’une maman pour tous. Non que le débat me semble clos, mais qu’il a déjà suscité suffisamment de violence. De façon incroyable entre frères, on s’est écharpé, insulté, ignoré. On a médit de son frère quand on n’a pas eu recours à la calomnie pour mieux rejeter sa position. Au nom de l’altérité à défendre, de la différence reconnue comme structurante entre l’homme et la femme, on a été incapable d’accueillir la différence dans la pensée.
Je reviens plutôt sur cet article, ou plutôt sur l’analyse de la famille telle que ce philosophe la lit dans les évangiles, en particulier dans les évangiles de l’enfance. Je la résume en une intuition. La naissance de Jésus racontée par la conception virginale casse les liens du sang au profit du modèle de l’adoption.
Le maître mot est adoption. Et cela dépasse les évangiles pour se retrouver notamment chez Paul. L’adoption exprime la relation qui lie le Père à tout homme par le Fils premier né (d’entre les morts). Elle est le nouveau nom de l’alliance, même si déjà on pouvait la lire, par exemple au superbe chapitre 11 du prophète Osée. « Quand Israël était jeune, je l’aimai, et d'Égypte j'appelai mon fils. […] Et moi j’avais appris à marcher à Éphraïm, je le prenais par les bras, et ils n'ont pas compris que je prenais soin d'eux ! Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d'amour; j'étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui et le faisais manger. »
Le mot adoption vient cinq fois chez Paul et littéralement pourrait être traduit par filiation. Le Père fait de nous ses enfants, voilà notre nouvelle nature proclamée, bien loin de l’appartenance à un peuple par le sang, comme cela était le cas, et l’est encore, avec le peuple de la première alliance. La nature n’a plus rien à avoir avec la famille, avec le clan, mais seulement avec le libre amour de Dieu désormais manifesté dans une universalité aussi radicale qu’est l’amour de Dieu pour le peuple Juif.
Joseph a aimé celui qu’il appelait son fils, lui apprenant à marcher, le prenant dans ses bras. Il le menait avec des liens d’amour, le soulevait comme un nourrisson tout contre sa joue, s’inclinait vers lui pour le faire manger. L’évangile de Matthieu cite ainsi le prophète : D’Egypte j’ai appelé mon fils. Joseph cependant n’est pas père par le sang. La virginité de Marie, à laquelle tiennent tant tous les chrétiens, exprime cette rupture dans les liens du sang. Il s’agit de la parabole de l’alliance nouvelle scellée par Dieu avec tout homme, par la filiation, par l’adoption précisément.
On sait combien les liens familiaux sont importants, et pourtant, ce ne sont pas ceux que Dieu choisit. On sait qu’ils sont en Espagne une protection souvent unique et partant indispensable contre la crise. Mais Dieu n’aide pas plus son fils que son voisin, si je peux dire, ou plutôt, Dieu n’a pas de voisins mais que des fils.
Car la famille, le clan, c’est aussi, parfois, souvent, un enferment, voire un enfer. C’est aussi ce qui peut justifier nombre de guerres. Ce qui se passe en Syrie comme en de nombreux pays d’Afrique, à défaut d’être la conséquence des liens du sang, se développe sur un terreau familial que la virginité de Marie vient interrompre. Cette mère engendre, hors du sang, hors de la nature, pour que son fils soit adopté, fils premier né, premier né d’entre les morts. On n’avait guère prévu que la conception virginale renfermât une telle puissance révolutionnaire !
Pour lutter contre tous les racismes, pour œuvrer vers une mondialisation qui ne soit pas esclavage au profit d’un libéralisme sans âme, mais fraternité universelle, n’est-il pas opportun de rappeler que la famille de Jésus c’est une mère vierge, un père adoptif, parabole d’une alliance nouvelle, celle de la nouvelle filiation, de l’adoption divine ? Voilà une manière de lire l’universalité de la bonne nouvelle de Noël. Le Fils en son engendrement certifie pour chaque homme la vérité de l’alliance, de la filiation, de l’adoption par le Père du ciel.


24/12/2013

Le chemin de Bethléem passe par le Golgotha. Noël 2013

Avec la foi chrétienne, c’est le monde à l’envers. Il y a d’abord la mort, et après la vie. Il y a la croix puis la résurrection. Il y a les cendres puis le feu pascal. On n’a jamais vu un feu jaillir des cendres. Et pourtant.
Il y a la mort puis la naissance. On meurt avant que de naître. Jésus meurt avant que de naître. La Pâque est la clé de lecture de Noël. La conversion évangélique nous conduit d’abord au Golgotha. C’est du mont du Crâne qu’on rallie Bethléem.
Que cela soit surprenant ne suffit pas à ce que l’on se détourne. Au contraire, la surprise interroge. Que dites-vous ? Il est mort avant que de naître ? Et c’est ainsi que les chrétiens ont célébré la Pâque dès la mort et la résurrection de Jésus. Ils n’ont célébré sa naissance qu’à partir du 4ème siècle. Et c’est ainsi que parle l’évangile de Jean, qui fait annoncer par la prédication du Baptiste, homme adulte à la veille de son martyre, la naissance de Jésus : « Cet homme n’était pas la lumière, mais il était là pour lui rendre témoignage. […] Et le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire. »
Non seulement il n’y avait pas de reporters avec les télévisions du monde entier pour couvrir la naissance de Jésus, mais l’on ne sait jamais à la naissance d’un enfant quelle sera sa destinée. A par dans les familles princières, comme on l’a vu récemment avec le royal baby, jamais une naissance n’a donné lieu et ne donne lieu à déploiement d’information. Or ce qui rend Jésus célèbre, digne que l’on raconte sa naissance, c’est sa vie tout entière, son ministère en particulier, récapitulé dans la Pâque, mort et résurrection. Comment pourrait-on venir à Bethléem autrement qu’en partant du Golgotha et du tombeau vide ?
Cela explique sans doute une mention de l’évangile de Luc, qui trouve comme un parallèle dans celui de Jean : « Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. » « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. »
Pourquoi donc personne ne reçoit Marie, Joseph et l’enfant ? Pourquoi les hommes n’accueillent pas la lumière venue dans le monde ? Faut-il penser que l’égoïsme et le péché endurcissent à ce point le cœur de l’homme qu’il ne se trouve personne pour recevoir Jésus ? Certes, nous laissons les réfugiés sans hébergement, à Lampedusa ou dans les rues de nos cités, mais il y a toujours quelques uns d’entre nous pour se dévouer à leur service, pour crier la honte d’une humanité inhumaine.
Je ne peux croire qu’il n’y eut personne pour accueilli une femme enceinte, qu’il n’y a personne pour accueillir la lumière. Et l’évangile de Jean parle de « tous ceux qui l'ont reçu, ceux qui croient en son nom » à qui il « a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu »
S’il n’y a pas de place pour eux dans la salle commune, c’est que Jésus n’a pas sa place dans une auberge, lui que le ciel et la terre ne peuvent contenir, lui qui fait du cœur de l’homme sa demeure. La non réception de l’enfant et du Verbe Fils, avant d’être une affaire de cœurs durs et fermés, est une confession de foi. Qui est l’enfant qui n’a pas sa place où les enfants ont la leur ? Qui est ce Verbe Fils qui ne peut être reçu ?
Et c’est là qu’il faut aller au Mont du Crâne, au pied de la croix ou devant le tombeau vide. Parce qu'ici, et ici seulement, est engendré le premier né d’entre les morts : « tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré » (Ac 13,33, He 5,5). L’engendrement du Fils n’est pas une affaire de crèche, mais de résurrection, c’est-à-dire de mort. Il est le premier né d’entre les morts et sa naissance a lieu au tombeau. Le sein de Marie est prophétie du tombeau vide, sa délivrance est écrite, après coup, comme annonce du tombeau vide.
C’est que même l’accueil du Verbe Fils par les hommes ne peut être que l’œuvre de la grâce, du don de Dieu, de Dieu même qui se donne, se livre. Comment les hommes, sans même parler de leur inhumanité, de leur bestialité, pourraient-ils accueillir leur Dieu si ce Dieu ne leur en donnait la possibilité ? Et comment leur en donnerait-il la possibilité sans que Jésus ne soit né d’entre les morts pour ouvrir dans la mort le passage définitif de la vie, pour ouvrir dans la création, la réalisation d’une promesse trop longtemps différée ? « Il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. ». Son engendrement pascal ouvre notre naissance à la vie divine. Enfin, à la croix et dans le vide du tombeau, la divinité devenait effectivement la vocation des hommes.
C’est exactement ce que nous célébrons aujourd’hui : Prenant chair de notre chair, il donne à la chair humaine sa divinité en partage. L’Emmanuel, le Dieu avec nous, contamine par sa présence tous ceux qu’il rejoint. Ainsi notre vocation est sa divinité puisqu’en naissant, il avait fait sienne notre vie.


15/12/2013

Ne pas voir qu'il fait nuit (Célébration pénitentielle)

Le chœur est dans la nuit. Un chemin de lumière mène à la crèche.

Chant d’entrée : Lumière pour l’homme aujourd’hui
1. Lumière pour l´homme aujourd´hui, qui viens depuis que sur la terre il est un pauvre qui t´espère, atteins jusqu´à l´aveugle en moi : Touche mes yeux afin qu´ils voient de quel amour tu me poursuis. Comment savoir d´où vient le jour, si je ne reconnais ma nuit ?
2. Parole de Dieu dans ma chair, qui dis le monde et son histoire afin que l´homme puisse croire, suscite une réponse en moi : Ouvre ma bouche à cette voix qui retentit dans le désert. Comment savoir quel mot tu dis, si je ne tiens mon cœur ouvert ?
3. Semence éternelle en mon corps, vivante en moi plus que moi-même depuis le temps de mon baptême, féconde mes terrains nouveaux : Germe dans l´ombre de mes os car je ne suis que cendre encore. Comment savoir quelle est ta vie, si je n´accepte pas ma mort ?

Prière d’ouverture : Dans nos ténèbres, tu fais briller ta lumière Seigneur. Viens éclairer nos obscurités et nous rendre disponibles pour l’accueil du jour qui vient.

1ère lecture Is 9, 1-6
Ps 138 (139) dont le verset 12
Evangile Jn 8, 1-13

Il ne s’agit pas de se croire dans la nuit pour le plaisir, par misérabilisme, comme si en se frappant la poitrine on était plus certain de faire contrition. La controverse de Jésus et des pharisiens lors du chapitre 8 de l’évangile de Jean indique plutôt, comme dans la guérison de l’aveugle au chapitre 9, que les pécheurs pharisiens ne se savent pas dans la nuit, qu’ils se croient en plein jour.
C’est peut-être cela le péché, ne pas voir qu’il fait nuit. La nuit des guerres et des injustices. Au Pape qui dénonce les drames de l’immigration à Lampedusa, de bons catholiques répondent que c’est touchant cette sollicitude, mais que ce Pape venu d’Amérique latine ne comprend rien aux problèmes européens, et que nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. Il fait nuit.
C’est peut-être cela le péché, ne pas voir qu’il fait nuit. La nuit qui remplit nos cœurs de haines ou d’intolérance. Nous respectons toutes les différences à condition qu’elles ne se voient pas. Nous acceptons les autres à condition qu’ils ne bousculent pas nos manières de faire. Nous sommes tous ainsi, je ne me permets pas de viser qui que ce soit, si ce n’est moi-même. Il fait nuit.
C’est peut-être cela le péché, ne pas voir qu’il fait nuit. Elle est longue la liste des nuits. « Dans la nuit se lèvera une lumière ». « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. » « Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. »
Nous sommes ici ce soir parce qu’il y en assez de cette nuit, de nos nuits, du péché aussi. Nous sommes ici parce que nous savons que notre Dieu peut vaincre les ténèbres les plus épaisses, les haines que nous subissons, les haines qui nous habitent, nos haines contre nos frères. Nous sommes ici parce que nous confessons un Dieu plus fort que toutes les nuits. « La ténèbre n’est pas ténèbre devant toi, la nuit comme le jour est lumière. »
Nous sommes ici non pour nous flageller, nous humilier, nous mépriser, mais parce que nous mettons notre espérance dans la lumière du monde. Nous venons nous laisser emporter par son amour plus fort que notre nuit. C’est notre espérance, pour traverser la nuit, pour ressusciter de nos morts.

Litanies pénitentielles. Jésus, Verbe de Dieu, Verbe fait chair par amour pour les pécheurs.
Après le temps d’absolution, le chœur est allumé, on s’y retrouve et l’on chante le Notre Père.
Bénédiction
Pour sortir : Aube nouvelle dans notre nuit, pour sauver son peuple, Dieu va venir. Joie pour les pauvres, fête aujourd'hui. Il faut préparer la route au Seigneur, il faut préparer la route au Seigneur.
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14/12/2013

Devons-nous en attendre un autre ? (3ème dimanche de l'Avent)

A dix jours de Noël, au troisième des quatre dimanches de l’Avent, aucun des textes entendus ne parle de la naissance de Jésus. La venue que nous attendons, les fêtes auxquelles nous nous préparons ne sont pas celles dont se préoccupe la liturgie de ce jour.
L’évangile présente un Jean-Baptiste adulte, à quelques jours de sa mort, bien loin d’Elisabeth et Zacharie, bien loin de la visitation. La question du Baptiste parle bien de venue, de venue du messie, mais c’est à Jésus que la question est posée, lui aussi à quelques mois de sa propre mort, bien loin de sa naissance et de la crèche. « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
S’il fallait une preuve de ce que l’Avent n’est pas une préparation à Noël, voilà qui paraît suffisant. Les calendriers de l’Avent, à en croire la liturgie, nous mènent sur une fausse piste. Ce n’est que la dernière semaine de l’Avent, du 17 au 24 décembre, qui tournera nos regards vers Bethléem et la montagne de Judée.
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » La question du Baptiste, adulte, chercheur volontaire de vérité, a une vigueur transhistorique. Elle peut être la nôtre, elle doit sans doute l’être. Si le Baptiste se renseignait sur la naissance de Jésus, il n’y aurait plus de quoi poser cette question aujourd’hui.
Mais à interroger Jésus lui-même, à chercher à identifier la figure de celui qui est attendu depuis l’origine du monde comme la vérité de l’humanité, sa force libératrice du mal, le Baptiste nous donne des mots pour notre propre quête, identique à la sienne.
Nous aussi, nous attendons le monde libéré du mal. Et Jésus confirme la légitimité de cette attente, c’est exactement ce qui arrive : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. »
Si nous nous inclinons devant la crèche, nous le devons à François d’Assise ou 12ème siècle, inventeur de la crèche. Mais lorsque François tourne notre regard vers l’enfant de la crèche, il nous invite à regarder l’humanité de Jésus, non à attendre une naissance, il y a deux mille ans. François, l’homme de la Passion, a vécu sous le signe de la mort, depuis l’abandon des richesses paternelles, une église en ruine, la dépossession de son ordre, le service des pauvres, dépouillés, François attend celui qui doit venir, attend lui aussi la lumière et la vie.
Peut-on encore penser, douze ou vingt et un siècles après sa mort, que Jésus est celui que l’on attend ? L’attendons-nous d’ailleurs ? Le vénérer à la crèche, n’est-ce pas une bonne manière de ne plus rien attendre, mais seulement de se réchauffer au feu d’une belle histoire, de la nostalgie d’un monde définitivement passé. Jésus est tellement celui qui est venu que nous pourrions finalement ne plus rien attendre de lui. Sa légende nous tient lieu de consolation, pour être bien certains de ne plus être provoqués par le signe de sa venue aujourd’hui, le renversement d’un monde : « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. »
Si nous sommes dans l’attente, c’est parce que ce monde en sa violence, jusque dans les églises et les communautés, nous est insupportable et que nous en attendons la libération. Si nous sommes dans l’attente c’est aussi parce qu’il nous manque, comme l’aimé. Nous ne pouvons sans inquiétude, ainsi que le dit Augustin, nous repaître de chanter sa gloire et sa présence parmi nous. C’est mensonge. Alors qu’une part toujours plus grande d’entre nous se passe très bien de Dieu, nous ne pouvons pas ne pas nous aussi manquer de Dieu, à moins de colmater le manque, gourmandise spirituelle, péché capital, nous goinfrant de sucreries dévotionnelles.
Ce temps de l’Avent est temps de tension. Nous sommes tendus tout entier vers « celui qui doit venir ». Nous n’en attendons pas d’autre. Nous sommes dans le grand écart entre la crèche, passée, « car il est déjà venu », et la soif d’un monde réconcilié, la soif d’un désir démesuré, jouir du bien-aimé, « car il viendra de nouveau ». Ô viens Emmanuel, ô viens ne tarde plus.

13/12/2013

Mathieu Lindon, Une vie pornographique.

Le dernier roman de Mathieu Lindon, prix Médicis en 2011, Une vie pornographique, POL octobre 2013, raconte la dépendance par rapport à l’héroïne. Mais c’est toute la vie qui est finalement lue comme dépendance et capacité ou non à vivre le manque.
On pourrait en faire une lecture mystique, si l’auteur nous y avait invités. « Cette idée folle de guérir du manque, ce serait guérir de la vie. » (p. 244). Se vérifierait que les prostitué(e)s et les publicains sont premiers dans le Royaume. A boucher le trou béant du manque par toutes sortes d’artifices, ils sont confrontés au manque. Parce que les artifices sont immoraux, à la différence du sport, du travail, de l’argent, des honneurs, de la reconnaissance, du pouvoir ou que sais-je encore, qui fait courir notre société, ils ne peuvent pas ne pas être confrontés à la vérité de tous. Même la famille est une drogue. C’est bien de le dire après l’hiver mouvementé de la famille idéale ! « La famille est une addiction obligée dont se débarrasser est une autre addiction. (p. 259)
Avec la drogue et autres dépendances immorales, impossible de faire le fier. Cela n’a même pas de sens. Et de fait, la question morale est absente de toutes ces pages.
Il en va ainsi de toute vie, si du moins on ne fait pas semblant de ne pas voir, si du moins, on n’est pas dans le déni. L’évangile de Jean le dit : Vous dites Nous voyons, alors votre péché demeure !
« Heureusement qu’il y a un instinct pour être accroché à la vie parce que peut-être qu’on n’y arriverait pas toujours par la seule force du raisonnement. » (p. 262)
Notez l’euphémisme ou la stratégie pour éviter la certitude, le dogmatisme. C’est comme avec Dieu. On ne peut que constater qu’il nous tient autant qu’il nous manque. La force du raisonnement n’est pas suffisante, même si elle assure qu’il n’y a alors rien d’insensé. Elle dit peut-être plutôt que c’est par delà le sens, comme Nietzsche avait dit par delà le bien et le mal. Jenseits.
Un monde sans Dieu, sans Dieu apparent, qui en dit plus sur Dieu, ou du moins permet plus à Dieu, le dégageant de la gangue idolâtrique, que les discours affirmatifs, tonitruants, rassurants, assourdissants, lesquels ne sont qu’une autre forme de dépendance, pour ne surtout pas manquer.

12/12/2013

Un colloque sur le catholicisme d'identité

Me parvient un appel à contributions pour un colloque d'historiens et sociologues des religions. Je le recopie ci-dessous. Il développe comme de coutume la problématique d'un colloque et pose des questions susceptibles d'êtres instruites par tel ou tel chercheur.
Ce papier m'inspire deux réflexions.
Premièrement, si le texte pose bien le problème, il relève me semble-t-il de la thèse. C'est légitime, restera à voir si le colloque valide ou infirme cette thèse.
Deuxièmement, je constate que l'on parle scientifiquement de catholiques d'identité, en face ou à côté des cathos de gauche, susceptibles d'être étudiés, décrits, positivement..Cela invite à resituer la nouvelle évangélisation, les communautés nouvelles comme l'Emmanuel, les défilés de la Manif pour tous dans un cadre militant qui n'est plus d'abord celui de l'engagement ou de la foi, mais de l'idéologie, à moins que la foi ne tienne lieu d'idéologie, ou ne soit réduite à une idéologie.
Intéressant....


Le catholicisme d’identité.
Approches historiques et sociologiques
Colloque organisé par Céline Béraud, Bruno Dumons et Frédéric Gugelot,
Jeudi 27 et vendredi 28 novembre 2014, à l’EHESS
Avec le soutien du CEIFR, du LARHRA et de l’IUF

Contrairement à l’image souvent monolithique qu’en donnent volontiers les médias, le catholicisme français est un monde pluriel. Pour appréhender cette pluralité, Philippe Portier a élaboré (2001) et précisé (2012) une typologie construite autour de deux pôles : celui de l’ouverture et celui de l’identité. Pour décrire le même phénomène, Jacques Lagroye (2006) a parlé du « régime des témoignages » et de celui « des certitudes ». Si les catholiques d’ouverture ont fait l’objet de travaux récents (Pelletier et Schlegel, 2012), les catholiques d’identité ont été encore peu étudiés (Baudouin et Portier, 2002 ; Landron, 2004). On ne dispose que de quelques recherches, déjà un peu anciennes, sur les communautés dites « nouvelles » (Hervieu-Léger et Champion et Hervieu-Léger, dir., 1990 ; Pina 2001), surtout d’ailleurs sur les charismatiques (l’Emmanuel, le Chemin neuf…) et moins sur les « réstitutionnistes » (Communauté Saint-Martin, frères de Saint-Jean, foyers de Charité…).
L’un des premiers objectifs du colloque consistera à interroger et à préciser la catégorie de  « catholicisme d’identité », en la confrontant notamment à d’autres, depuis plus longtemps constituées. Sera donc menée une réflexion sur les typologies employées mais également sur les conditions historiques d’émergence de ce catholicisme.
A cet égard, les années 1970 apparaissent comme un moment important. Ces années, celles de la « crise catholique » (Pelletier, 2002), constituent une référence repoussoir pour les générations plus jeunes, que l’on retrouve majoritairement dans le pôle de l’identité. Sans les avoir vécues personnellement, elles en font la source de la déprise catholique en France et développent un discours souvent très critique par rapport à leurs aînés. Surtout, dans le sillage du décret Ad Gentes (1965) sur l'activité missionnaire de l'Eglise, l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (1975) pose déjà la question de la nécessité d’une annonce « explicite » de la « Bonne Nouvelle » et celle d’un « nouvel apostolat » pour défendre une foi « assiégée et combattue » par le « sécularisme » et l’« athéisme militant » et pour rejoindre les non-croyants et les non-pratiquants, en particulier ceux des pays de tradition chrétienne, en prêtant une attention particulière à la culture et aux médias. Si le colloque est principalement centré sur le catholicisme français, l’échelon romain devra donc bien sûr être pris en considération.
Les intervenant-e-s veilleront aussi à articuler leur propos aux changements en cours dans le catholicisme français depuis une quarantaine d’années. Il s’agira notamment de comprendre le basculement qui se produit dans les années 1980, marquées par un épuisement et un vieillissement des catholiques d’ouverture au profit de ceux qui se situent du côté de l’identité. Comment ces derniers ont-ils investi les lieux traditionnels d’exercice de l’autorité catholique (paroisses, diocèses, conférence épiscopale) ? De quels soutiens ont-ils bénéficié à Rome ? Pourquoi le second pôle est-il devenu plus attractif que le premier, tout particulièrement pour les jeunes ? Quels sont les liens avec le vieux courant intransigeant  (Poulat, 2007) ? Reste-t-il attaché à des formes d’intégralisme ? (Donegani, 1993 ; Fouilloux, 2008) ? Comment s’y pose la problématique du schisme intégriste?
Dans une perspective ethnographique, on s’intéressera aux modalités de socialisation et de communalisation que les réseaux qui relèvent du pôle de l’identité proposent à leurs membres (clercs et laïcs). On pourrait notamment étudier les formes de piété qu’ils ont contribué à revigorer : processions, adorations, chemins de croix dans l’espace urbain, etc. On montrera aussi comment y prédomine une logique d’entre-soi, tout à la fois chaleureuse et rassurante, caractéristique des groupements de convaincus. Au cours des activités religieuses mais également dans leur comportement dans le monde marqué par un « perfectionnisme moral », c’est un catholicisme de virtuoses (Weber, 1922) qui se donne à voir. S’ils affichent leur attachement à la norme romaine, ces fidèles n’en sont pas moins travaillés eux aussi par un processus d’individualisation. L’authenticité de l’engagement personnel librement choisi et la qualité des relations interpersonnelles tissées dans des réseaux ecclésiaux, subjectivement appréciée, peuvent primer sur l’obéissance diocésaine. La question de la (dé)régulation institutionnelle s’y pose donc autant qu’ailleurs.
Les catholiques d’identité, qui à tort ou à raison se pensent comme minoritaires, ont développé une nouvelle forme de présence au monde. Ils ont de fait rompu radicalement avec la stratégie d’enfouissement de leurs aînés et cultivent volontiers leur visibilité (importance accordée aux signes religieux, organisation de grands rassemblements dont les Journées Mondiales de la Jeunesse sont exemplaires…) dans une société sécularisée  qui, selon eux, les ignore voire les méprise. Apparaît ainsi l’affinité de ces catholiques avec la démocratie des identités (Gauchet, 1998), travaillée par des luttes pour la reconnaissance (Honneth, 1992).
Ces catholiques virtuoses ne sont pas seulement des pratiquants mais également des militants, dont l’engagement s’est déployé dans l’espace public et le réinvestissement du politique. On s’intéressera aux principaux champs d’intervention qui sont les leurs (bioéthique, famille, genre, culture, caritatif et humanitaire…) ainsi qu’à leur répertoire d’actions (manifestations, pétitions, blogs, réseaux sociaux, lobbying parlementaire, savoir-faire événementiel…).
Enfin, on pourra s’interroger sur les effets de cette réaffirmation identitaire catholique dans les relations aux autres groupes religieux. Repli confessionnel et donc refroidissement de l’œcuménisme ? Quelle place dans le paysage religieux lui aussi pluriel ?

Les propositions de communications (titre et résumé de 3000 signes maximum, espaces compris, avec le nom, le statut et l’institution de rattachement de leur auteur-e) devront être adressées avant le 25 janvier 2014 

10/12/2013

Le pluralisme en théologie. Karl Rahner

« Le christianisme a à apprendre de la rencontre avec les autres religions du monde, non pas tant quelque chose qu’il aurait à importer de l’extérieur, mais comment devenir soi-même de façon beaucoup plus absolue et beaucoup plus décisive. Puisqu’il existe des idéologies modernes de la liberté, pourquoi le christianisme ne devrait-il pas découvrir qu’il peut rendre beaucoup plus vivant et beaucoup plus radical qu’il ne l’a fait jusqu’à présent son message de liberté ?
« Il est certain que le christianisme se trouve aujourd’hui dans une situation qu’il n’a jamais connue jusqu’à présent. Jusqu’alors, bien qu’il ait voulu devenir et être une religion mondiale, un message pour tous les peuples, il ne pouvait cependant puiser la vie qu’à une racine unique, peu importe que ce soit celle du cercle culturel juif ou celle de l’Occident gréco-romain. En revanche, sans rien renier de son origine historique, il doit maintenant devenir vraiment religion mondiale, prendre racine dans des cultures très différentes les unes des autres, et qui resteront probablement telles. […] Maintenant, le christianisme historique doit devenir historiquement suprarégional, et nous devons veiller à la façon dont il saisira cette chance extraordinaire. »
K. Rahner, Le courage du théologien, Cerf, Paris 1985, 223-224



Avant Vatican II, la situation de la théologie est assez simple. Les théologiens expliquent la pensée catholique qui fonctionne comme un système. Des thèses diverses peuvent certes exister sur un certains nombres de points que tous reconnaissent comme non décidés, mais, s’appuyant toute sur une philosophie issue d’Aristote et de Thomas, rien ne les distingue vraiment. La théologie est une comme la foi et l’Eglise.
A partir de la fin du XIXe siècle, on prend conscience qu’il y a une histoire du dogme. Contrairement à ce que l’on pensait, la foi n’a pas toujours été formulée identiquement ; ce qui est cru par tous, partout et depuis toujours n’est pas immuable ! C’est la crise moderniste dans les années 1905, traumatisante avec ses condamnations.
La crise est à nouveau vive dans les années 50 avec les condamnations de Lubac, Chenu, et tant d’autres, historiens de la théologie. Les tensions et déchirures issues d’un catholicisme intransigeant (intégriste ou traditionnaliste) sont un nouvel épisode de la rencontre conflictuelle entre histoire et dogme. La tradition, pour Mgr Lefebvre, c’est ce qu’il a appris de sa maman, qui le tenait directement du Christ. Boutade qui souligne la dimension anhistorique et affective de la foi, d’où l’incapacité d’entendre la moindre critique[1].
Le Concile Vatican II entérine les résultats d’une théologie historique dans ce que l’on appelle le retour aux sources, en liturgie, patrologie, dogmatique, et exégèse. Il interdit en principe le fixisme que l’on retrouve chez les fondamentalistes de tout poil.
Ainsi se fait jour un pluralisme théologique, non par des thèses contradictoires, mais par des manières différentes de présenter la foi, que l’on ne peut ramener à l’unité synthétique, d’autant que la diversité des disciplines théologiques et l’ampleur des connaissances ne sont plus maîtrisables par une seule personne.
La pacification œcuménique opérée par le concile modifie le regard sur la théologie des frères séparés. Ils ne sont plus les hérétiques qu’il faut combattre, mais offrent une autre présentation, que l’on doit écouter, de l’unique mystère de la foi.
Pluralisme dans la théologie catholique, pluralisme des théologies chrétiennes, pluralisme culturel ensuite, plus radical encore, dont les Pères conciliaires n’ont que fort peu conscience, même s’ils le vivent. Si la foi catholique est présente dans toutes les parties du monde et ne se dit plus selon les modèles occidentaux, ce que le concile perçoit surtout à travers les rites orientaux, alors l’européocentrisme qui donnait l’impression d’unité de la théologie vole en éclat.
Enfin, encore moins explicite au concile, mais cependant un de ses fruits, le pluralisme religieux. La théologie des religions qui considère que chaque religion peut constituer un chemin de salut, ne fait que régionaliser davantage la foi catholique. Il y a des vérités dans les autres religions, et il ne s’agit plus de baptiser tout le monde mais d’apprendre de l’autre ce qu’il dit de la vérité pour mieux entendre, à sa rencontre, l’authenticité de notre propre foi.
Rahner paraît l’un des premiers à prendre conscience de ce que devient la théologie confrontée au pluralisme. Loin de craindre le relativisme, comme Ratzinger, ou le choc des civilisations, il invite l’Eglise à ne pas se replier sur elle-même pour découvrir, au contact de l’autre, qui elle est, quelle est sa mission, ce que signifie l’évangile.
Il ne s’agit pas d’adapter l’évangile, encore moins de l’abandonner ; la compréhension de l’évangile est modifiée par la rencontre de différences irréductibles, inassimilables. Ainsi, si l’on peut très bien vivre avec un autre dieu, voire sans Dieu, et n’en être pas moins homme, du moins pas plus mal, à quoi sert l’évangile ? Nous sommes reconduits à la découverte de l’absolue gratuité de Dieu, déjà exprimée dans l’évangile mais tellement ignorée. L’évangile a encore à nous apprendre ce que nous n’avions jamais entendu, parce que les autres époques et contextes faisaient entendre autre chose. L’enjeu du dernier concile n’est rien moins que celui-ci : libérer les possibilités inouïes dont recèle l’évangile, du moins écouter pour de bon, pour aujourd’hui, l’évangile. Le chemin de la tradition passe par la nouveauté[2].




[1] L’opposition viscérale de l’Eglise au mariage pour tous relève de cette intransigeance, affectivement incapable de penser autrement qu’on l’aurait toujours fait. Le recours à une anthropologie philosophique, prétendue unique parce que fondée en raison, relève d’une idéologie datée, celle des Lumières. Pour proclamer l’universalité de la raison, c’est-à-dire du fonctionnement occidental de la raison, on a méprisé les autres cultures quand on ne continue pas à les faire disparaître.
[2] Ces thèmes ont été plusieurs fois envisagés par Rahner, par exemple dans des articles non-traduits des années 80 (Schriften zur Theologie XIV), mais aussi dans « Le pluralisme en théologie et l’unité du credo de l’Eglise », Concilium 46 (1969), pp. 93-112 et les deux premiers articles des Ecrits théologiques 7. 

06/12/2013

A nous de choisir, soit la perfection, soit la sainteté (2ème dim. Avent A)

On ne peut pas dire que le Baptiste soit un homme de consensus. Il a manifestement un certain nombre de personnes dans le nez. Ce n’est pas très chrétien tout cela !
On ne peut pas dire que l’évangéliste soit très objectif. Qui croira que Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain venaient à Jean ? Faut pas pousser !
Pourquoi le Baptiste et Matthieu exagèrent-ils ? Il faut qu’il y ait un impératif indiscutable pour en rajouter ainsi.
Rien n’est pire semble-t-il que cette minorité, pharisiens et sadducéens, face à la majorité du pays, des pays ;  rien n’est pire que l’hypocrisie de cette minorité : traitrise de la vipère, stratégie pour fuir la colère qui vient, conviction d’être dans le bon camp, sauvés comme si cela était dû, par hérédité : ils sont fils d’Abraham.
Que viennent-ils chercher auprès de Jean, ces gens bien ? Pourquoi un geste de conversion si, au fond d’eux-mêmes, ils sont dans le vrai qu’ils savent mieux que personne ? Ils jouent la contrition mais dictent les règles. Peut-on être à la fois et juge et pénitent ? Celui de Camus est moins arrogant. Et c’est tout exprès que son auteur le nomma Jean-Baptiste.
Jean ne se laisse pas avoir. C’est comme si le jugement dernier avait déjà commencé. Et notre texte a une saveur apocalyptique : la cognée est à la racine de l’arbre ; la pelle à vanner est sortie et déjà brûle le feu dans lequel on jettera la paille, un feu qui ne s’éteint pas.
Au début de l’évangile (nous sommes au chapitre 3), le combat, l’agonie comme on dit en grec, de la passion a déjà commencé, le conflit avec la fine fleur des institutions juives est déclaré. Les plus religieux, les plus orthodoxes, les plus pratiquants des commandements sont dans le collimateur et cela se terminera très mal… par la mort de Jésus. On comprend le style apocalyptique.
C’est qu’être fils d’Abraham ou disciple de Jésus est bien autre chose que de respecter les traditions des anciens ou les commandements de l’Eglise. Non que ces derniers n’aient pas de sens. Mais si nous pensons que leur respect fait de nous des gens bien, nous sommes fichus. S’il suffit à nos yeux de ne pas les respecter pour être des chrétiens tièdes, voire le signe de la décadence de la société, nous sommes fichus, et non pas ceux qui nous apparaissent bien peu sérieux avec la religion. Pire, nous demandons sans cesse pardon, mais nous ne croyons pas vraiment avoir besoin de conversion. En quoi devrions-nous changer puisque déjà, nous sommes des gens bien, nous savons ce qui est bien ?
Au début de l’Avent, cet évangile nous met en garde, nous qui nous disons disciples de Jésus. Notre pratique pourrait être précisément ce qui nous écarte de Jésus, ce qui fera qu’au terme nous serons la proie du feu qui ne s’éteint pas.
Comment donc ? Notre fidélité serait-elle le chemin de notre perte, disons-le, de notre damnation ? Oui, chaque fois qu’elle nous aura dispensés d’écouter les frères, d’apprendre d’eux, sous prétexte que nous savons, nous, par la révélation ou par la loi naturelle, ce qu’est la pensée de Dieu. Qui connaît la pensée du Seigneur, quel conseiller peut l’instruire ?
C’est cela je crois, le péché contre l’Esprit. Se servir de l’Esprit pour se fermer à l’Esprit, ce servir de la foi pour ne surtout pas faire confiance, se livrer à l’inconnu des chemins où nous conduit l’Esprit.
La conversion que le Baptiste propose et que le baptême dans l’Esprit scelle, si elle ne fait que confirmer la morale de notre classe, si elle ne réclame pas un changement dans nos manières d’être, est une fumisterie, celle précisément que dénonce le texte. Jean nous met en face de nos contradictions. C’est un moment de crise, de jugement, de jugement dernier.
C’est toujours la même histoire avec l’évangile. Les pécheurs passent devant, non qu’il est bon de pécher, mais que les publicains sont tellement à côté de la perfection qu’ils ne risquent pas de se croire des gens bien. Le contraire de la sainteté n’est pas le vice mais la vertu. Voilà où l’Eglise du XIXème fut la grande responsable de la déchristianisation. A nous de choisir, soit la perfection ou du moins le fait d’être quelqu’un de bien, soit la nécessité de la conversion : soit l’enfermement dans le contentement de soi, soit la sainteté.

30/11/2013

Pitié pour les hommes politiques


Pitié pour les hommes politiques. Peut-être est-il temps de renoncer à insulter les hommes politiques. Il y a belle lurette que cette pratique de l’insulte a rompu ces liens avec son lieu d’origine, le discours oppositionnel, et qu’elle est devenue un lieu commun de la majorité râleuse. Depuis lors elle circule et sert de passe-temps dans tous les media. Comme toujours quand il n’y a plus rien à révéler, la révélation devient une routine et une industrie, elle est profitable quand il s’agit d’augmenter les tirages ou les chiffres de l’audimat.
Hans Magnus Enzenberger (cité par A. Finkielkraut dans l'émission de France Culture, Répliques du 30 11 2013).

Faudra-t-il alors demander pitié pour les journalistes ? Il est évidemment si facile de les rendre responsables de tous les maux. Sans disculper personne, il faut sans doute lire ces lignes davantage comme une invitation au respect des règles élémentaires de l'analyse. Nous serions à la place des uns ou des autres, que ferions-nous ?

Pour commune qu'elle soit, la haine n'est pas notre avenir (1er dimanche de l'Avent)

Rêver d’un monde meilleur, qui ne l’a pas fait ? Mais si ce monde que nous rêvons est hors d’atteinte, n’est-il pas préférable de le renvoyer pour après la mort, quand plus rien ne permettra d’en vérifier la réalité ? Et de fait, les chrétiens ont été accusé de construire un arrière monde qui les autorisait à mépriser ce monde-ci.
Le retour du Seigneur, c’est pour quand ? Pour aujourd’hui ou pour demain, après la fin, lorsque nous tous serons morts ? Nous proclamons dans le credo qu’il y a une vie éternelle. Reste à savoir si la vie éternelle, c’est la vie après la mort, ou si, dans cette existence de chaque jour que nous recevons du Seigneur, cette vie éternelle est déjà commencée.
Pourquoi donc cette incertitude sur la vie éternelle, sur le monde nouveau et meilleur ? L’évangile ne répond pas, mais confirme l’incertitude. Les gens ne se doutent de rien. « Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Dans la catéchèse, dans ce que l’on raconte aux enfants, surtout en famille, la vie éternelle se situe après la mort. La vie éternelle est la réponse à la question à laquelle personne ne sait répondre, parce que personne ne sait y répondre : « Qu’est-ce qui se passe quand on est mort ? » Et pour faire bonne mesure, nous racontons que l’avent, c’est pour se préparer à Noël. Mieux vaut parler de naissance que de mort, c’est plus gai ! Mais voilà, rien dans les textes d’aujourd’hui ne parle de Noël et tout pose la question d’un monde nouveau.
Certes, quand la vie n’est pas trop agressive, violente, quand on peut réussir sa vie, plus personne n’attend vraiment un monde nouveau. Lorsqu’un pays donne l’impression de vivre en paix depuis soixante-dix ans, qui rêve de ce que cesse la guerre ? Pourtant, notre pays n’a pas arrêté d’être en guerre depuis soixante dix ans, en Indochine, en Algérie, lors des nombreuses interventions en Afrique, en Afghanistan, au Proche et au Moyen Orient, sans parler de la guerre mené par et contre le terrorisme.
Il y aurait bien de quoi faire nôtre l’espérance prophétique. « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances, des faucilles. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on ne s’entraînera plus pour la guerre. »
A regarder notre monde, nos sociétés, nos communautés ecclésiales, nos familles, notre propre cœur, nous sommes désespérés. Le cri de Paul VI à la tribune des Nations Unies en 1965, repris des mouvements pacifistes après la première guerre mondiale, nous paraît une douce illusion, bien loin des vrais problèmes : Plus jamais la guerre !
Alors, quel sens y a-t-il à lire le prophète Isaïe ? D’autant que dans le pluralisme de la mondialisation, la loi du Seigneur ne saurait plus faire l’unanimité ; elle est plutôt source de nouvelles violences. L’évangile est moins utopique, qui nous met la violence sous le nez, qui raconte la venue du fils de l’homme sur le modèle de la catastrophe diluvienne.
La venue du Fils de l’homme, l’avent du Fils de l’homme, inscrit dans notre monde, non la fuite vers un arrière monde, mais une impossible résignation. Elle renvoie dos-à-dos la désertion et le cynisme désabusé. Dans les deux cas, il n’y aurait rien à faire, puisque le vrai monde serait ailleurs ou puisque de toute façon, on ne pourrait rien faire, rien changer. La venue du Fils de l’homme met un pied dans la porte du désengagement, du découragement, ou du laisser-faire coupable. Pour commune que soit la haine, elle n’est pas notre avenir.
Voilà peut-être la bonne nouvelle qui nous est donnée à entendre ce matin. Pour commune que soit la haine, elle n’est pas notre avenir. Notre avent est ailleurs, justement dans la venue du Fils de l’homme. Nous attendons la vie éternelle, mais elle est déjà là s’il est établi que la haine n’a pas le dernier mot. Nous attendons le Fils de l’homme, mais il est déjà là s’il est sensé que nous nous engagions pour la paix. C’est parce qu’il est nécessaire, contre toutes nos guerres, en nous, en famille, dans la société, dans l’Eglise, dans le monde, de renoncer au fatalisme de la violence que l’évangile et la foi trouvent leur validité.
Jamais tous les pays ne monteront à la montagne de Sion pour entendre la loi du Seigneur, ils n’y sont d’ailleurs jamais tous montés. L’unanimité religieuse semble n’être possible que par la violence, ce qu’à raison, nous rejetons. Mais c’est pourtant bien la loi du Seigneur qui nous enseigne l’engagement pour la paix, à être des artisans de paix.
La venue du Fils de l’homme, son avent, qui est notre avenir, fait retentir un cri qu’il nous faut faire résonner encore et toujours : la haine n’est pas notre avenir.

23/11/2013

La lutte contre le mal passe par le service, mais personne n'en veut. (Christ Roi de l'univers)

La France ne va pas bien. Son président est au plus bas dans les sondages et l’on se prend à rêver de nouveau à l’homme providentiel. C’est déjà ainsi que s’était construit le mythe qui avait conduit Nicolas Sarkozy à la présidence. Vue d’Espagne, est-ce si sûr que la France ne va pas bien ? Vue de Madagascar ?  Même vue d’Allemagne où un SMIG décent est seulement à l’ordre du jour des projets de la nouvelle coalition…
Mais qu’avons-nous à rêver à l’homme providentiel ? Qu’avons-nous à confondre gouvernement et populaire voire populisme ? Ne serions-nous pas coupables à attendre le coup de baguette magique ? Pour nombre d’entre nous, pouvait-on lire cette semaine, le loto et autres jeux de hasard apparaissent comme la seule solution pour s’en sortir.
Ces superstitions profanes, qui coûtent le sacrifice de quelques euros, mais peuvent rendre dépendant et ruiner, ouvrent une autre voie quand tout est disqualifié et que le vrai Dieu n’a plus la cote. Ceci dit, faire du vrai Dieu l’homme providentiel, pas sûr que cela marche mieux !
Si les présidents, de droite comme de gauche, sont incapables de protéger leurs concitoyens, voire les plient à leur service ou à ceux du grand capital, n’aurions-nous pas des raisons de vouloir un autre régime politique, une autre royauté, enfin juste et bonne ?
La fête du Christ roi de l’univers est récente. Elle date de 1925, quelques années après la première guerre mondiale et ses millions de morts. Elle date du traumatisme causé par l’installation du pouvoir soviétique, athée, en Russie. Le monde s’est écroulé. Il n’y a pas d’homme providentiel et l’on recourt à Jésus lui-même. Contre un monde qui se laïcise, on dirait qui se sécularise et se déchristianise, et pas seulement sous l’effet du communisme, il faut en appeler au souverain roi.
Après le concile que la fête devient celle du Christ-roi de l’univers. Le sens trop exclusivement politique est estompé pour souligner principalement la seigneurie de Jésus sur la création, dans l’esprit de notre seconde lecture (Col 1,12-20).
Mais est-ce une raison pour voir en Jésus l’homme providentiel ? Comment apparaît le roi de l’univers ? Rien des succès fulgurants et magiques. Rien de triomphal. L’évangile choisi n’est pas celui de l’entrée à Jérusalem. Pire qu’un roi montant un ânon, c’est un crucifié que la liturgie désigne roi de l’univers.
On se moque de nous. Nous sommes refaits. La France n’ira pas mieux, ni le monde si on en appelle à un condamné. Est-ce à dire qu’il faut déthéologiser le politique et que la fête de ce jour n’est que spirituelle, que la royauté de Jésus et sa providence ne sont que spirituelles, c’est-à-dire finalement, non repérables, non efficaces, pas vraiment vraies ?
Surtout pas. Il y a dans le principe d’incarnation (n’oublions pas que la fête a été instaurée pour le 1600ème anniversaire du concile de Nicée) quelque chose qui interdit à la foi de se réfugier dans le spirituel. Si la royauté de Jésus a un sens, si l’encyclique de Pie XI n’est pas qu’idéologique, ce n’est pas une spiritualisation qui les sauvera, mais leur insertion dans ce monde, monde des conflits et des haines, du refus de Dieu et des exclusions.
Le roi que nous présente l’évangile est précisément confronté à la haine et à l’exclusion, y compris au nom de la religion, de la foi. Jésus roi est condamné, serviteur défiguré. La royauté de Jésus, le royaume que nous appelons chaque fois que nous récitons le Notre Père, que ton règne vienne, n’est pas le royaume providentiel, celui de la réussite et du succès, celui qui nous tire magiquement de la mouise.
La royauté de Jésus est la nôtre. Parce que le roi trône avec nous, fût-ce sur une croix, ce que nous vivons d’injustices, de haines, de violences et d’exclusions ne parvient pas à effacer notre nom du cœur de Dieu. Car c’est aujourd’hui même, le paradis auquel il nous convie, ainsi que le dit le texte, non demain après la mort, mais aujourd’hui.
Que nous fait de mourir dignes, de vivre dignement mais écrasés par la violence, si c’est pour mourir ? Pas grand-chose, je l’accorde. Si ce n’est… Si ce n’est que le vermisseau que nous sommes, enhardi par l’amour qu’il reçoit de Dieu même, ose penser que ce monde a une autre vocation que le cortège du mal. Ce n’est pas l’homme providentiel qu’il faut attendre comme Godot, c’est notre condition de serviteur qu’il faut relever pour faire reculer le mal. La lutte contre le mal passe par le service.
Le service est la seule force capable de changer le monde. Personne n’y croit, personne n'accepte de se faire serviteur. C’est bien pour cela que la fête de ce jour n’a plus rien de conservateur et d’anti-démocratique, mais qu’elle est toute entière révolutionnaire, de la révolution de l’évangile.

16/11/2013

Pour que l'Eglise ne soit pas une secte (33ème dimanche C)

Qu’est-ce que la fin des temps ? L’évangile de ce jour parle-t-il de demain ou d’aujourd’hui ? A moins qu’il ne s’agisse d’hier, car il y a belle lurette qu’il ne reste pas pierre sur pierre du temple de Jérusalem. Les musulmans ont même construit deux mosquées à sa place et ne subsiste qu’un mur de soutènement.
Si l’on ne sait pas de quoi parle le texte, comment le comprendrions-nous ? Si la fin des temps, c’est demain, en quoi le texte est-il utile ? Seuls ceux qui vivront ce moment, à supposer qu’il existe un jour, seront heureux de trouver un mode d’emploi, un guide pour agir à cette heure. Mais voilà que depuis la rédaction de l’évangile, des générations de chrétiens ont lu ces pages sans vivre la fin des temps. Est-ce à dire qu’ils n’avaient rien à entendre en ces versets ? Vraisemblablement, nous non plus ne verrons pas la fin du monde. Serait-ce à dire que nous n’avons rien à attendre de ce texte ? Alors, il faut arrêter ici le commentaire.
Bref, la seule solution pour lire le texte est de décider, même si c’est surprenant, que la fin des temps, c’est maintenant. C’est parce que c’est maintenant la fin des temps, que nous pouvons écouter avec profit cette page d’évangile.
Dire que notre temps est temps de la fin, fin des temps, qu’est-ce que cela signifie ? La fin des temps n’est manifestement pas un autre temps, par exemple après la mort, la mort de tous, mais ce temps-ci où la mort rode et doit être affrontée. N’est-ce pas ce que décrit le texte ?
On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre, et çà et là des épidémies de peste et des famines ; des faits terrifiants surviendront, et de grands signes dans le ciel. Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l'on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d'entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom.
Comprendre ce que nous vivons comme fin des temps a des conséquences dont le texte se fait mode d’emploi. Nous ne sommes nullement abandonnés en ces temps s’ils sont les derniers. Le texte nous dit que faire.
La première chose qui nous est dite c’est de ne pas croire les charlatans. Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom en disant : 'C'est moi', ou encore : 'Le moment est tout proche.' Ne marchez pas derrière eux ! Ces charlatans sont peut-être les sectes, et l’on sait les ravages qu’elles font. Plus les gens sont pauvres et paumés, plus elles en profitent, et les vedettes internationales qui sont adaptes ne font que faire croire en la respectabilité de ces officines. Habituées à la une des magazines people, elles sont la devanture encore, en l’occurrence, celle des sectes.
Mais s’agit-il seulement de nous prémunir contre les sectes ? Que les évangiles aient pensé à cela est curieux. C’est plutôt une invitation pour les disciples de Jésus à ne pas se transformer en secte. Cela signifie que les gens paumés, c’est notre boulot de les accueillir, de les soulager, mais sans aucune arrière pensée, du genre se les agréger. Nous somme ici encore les témoins de la gratuité. Nous sommes au service au nom de Jésus, pas pour agréger à Jésus. Si annonce de Jésus il y a, ce sera de telle sorte que la gratuité du service n’y soit jamais sacrifiée.
Une autre caractéristique des sectes c’est la prétention à avoir la solution, les solutions. Nous ne pouvons faire croire que nous avons les solutions. Quand les gens crèvent, comme Mère Téresa, on leur tient la main, on ne fait pas croire au miracle. Parmi ceux qui sont venus sous son nom et qui ont dit, c’est moi, ou le moment est tout proche, qui ont créé des mouvements ou congrégations, plusieurs ont été convaincus d’infamies. Cela n’est-il pas curieux ? Certains ont abusé jusqu’à Jean-Paul II.
Notre Eglise n’est peut-être pas en grande forme. C’est surtout le moment de ne pas croire ceux qui viennent sous le nom de Jésus et de ne pas suivre ceux qui disent que c’est le moment.
Le mode d’emploi qu’est l’évangile de ce jour invite à persévérer. Voilà qui n’est pas une valeur , la persévérance, dans un monde de l’éphémère. Traverser les obstacles, les crises, et même la mort, et se tenir là où nous avons dit que nous serions, même si c’est la mort qui se présente. Mettez-vous dans la tête que vous n'avez pas à vous soucier de votre défense. Moi-même, je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction. Persévérer dans nos devoirs, dans nos solidarités, dans nos lieux. Il n’y a semble-t-il pas d’autre choix.
L’herbe est toujours plus verte à côté, tant que l’on n’a pas franchi la barrière. Le changement de pré n’est souvent enthousiasmant qu’un court instant. Ensuite, l’herbe apparaît plus verte dans un autre champ, à côté. C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie.

11/11/2013

Service des frères et vie spirituelle

Quel rapport la solidarité et le partage, ce qui se dit charité en langage classique et chrétien, ont-ils avec la vie spirituelle ? S'agit-il d'une conséquence de cette vie dans l'Esprit ? C'est trop peu dire si le service des frères est le chemin du Christ serviteur, ainsi que l'enseigne par exemple la parabole du bon samaritain.
Mais parler de la foi comme service, n’est-ce pas réduire ce que nous croyons à un simple humanisme ? On n’a évidemment pas besoin de partager la foi pour se mettre au service des frères. Et si la foi n’ajoute rien à l’humanisme est-elle encore la foi ? N’est-il pas évident que l’amitié avec le Christ est le cœur de la foi, et sans ce qui se développe dans la prière, n’est-il pas vain de se dire chrétien ?
Entre le service du frère dont personne ne conteste la nécessité et l’adoration du Dieu qui se donne, dans l’eucharistie notamment, ne faut-il pas installer une hiérarchie ? Même question sur un autre terrain : l’évangélisation passe-t-elle d’abord par une annonce explicite de la parole de Dieu et une invitation à se joindre à la louange, ou par un service des plus pauvres ? On pourra contester l’alternative exclusiviste. Servir le frère n’a jamais empêché de prier ni de parler du Dieu de Jésus. Mais l’alternative a le mérite de poser la question de la place du service dans la vie chrétienne.
On comprend qu’avec le recul du christianisme dans la société on ait besoin d’affirmer l’identité chrétienne. Mais il est une chose curieuse dans la vie de Jésus. L’affirmation de ce qu’il est et croit passe par son retrait. Il préfère se taire devant les accusateurs et calomnies plutôt que de risquer une once d’agressivité. Il aime ceux qui le renient et le nient. Il demeure pour eux comme pour tous ‑ car tous un jour ou l’autre le renient ou le nient ‑ le serviteur. C’est la force de Jésus, qu’on l’aime ou pas, qu’on le reconnaisse ou non, il demeure en tenue de service, à veiller pour être prêt à laver les pieds de qui consentira à se laisser faire.
La parabole du jugement dernier de Matthieu 25 va plus loin encore dans cet effacement. La connaissance que l’on a de Jésus n’est jamais assurée, de sorte que seul le service garantit que l’on a rencontré le Seigneur. « Chaque fois que vous l’avez fait, ou pas fait, à l’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ou pas. »
N’allons pas en conclure qu’il n’y aurait donc ni à prier, ni à approfondir sa foi, ni à en témoigner. Rien de cela n’a été dit. Mais tout cela relève du par-dessus-le-marché, de la gratuité, de la grâce.
Alors, la vie spirituelle, la vie dans l’Esprit, ne se construit pas dans des activités spirituelles séparées mais dans les activités ordinaires de l’existence, c’est-à-dire d’abord dans le service des frères. L’accueil des frères, la vie ordinaire aimerais-je pouvoir écrire, est la plus spirituelle. Et la spécificité chrétienne réside dans cette unité de la vie spirituelle et du service des frères.
Il n’y a pas d’une part ce que tout les hommes et femmes de bonne volonté font de bien et que les chrétiens aussi doivent pratiquer, et d’autre part, d’autres activités, comme une marche supplémentaire que trop d’hommes ignoreraient, chose spirituelle, ce que la foi apporterait. La mission des chrétiens consiste à dire par toute leur vie combien est spirituel, vient de l’Esprit saint, le service des frères, l’engagement à renouveler la fraternité. Mettre la parole en pratique est dans l’évangile une affaire de service des frères. Les chrétiens sont ceux qui dénoncent le divin en ce monde. Ils sont les prophètes de la présence du Seigneur en ce monde. Il n’y a pas à quitter ce monde pour trouver Dieu, au contraire.

09/11/2013

"Qu'y a-t-il d'écrit ? Comment lis-tu ?" (32ème dimanche C)

Je retiens de ce drôle d’évangile (Lc 20,27-38) la manière dont Jésus se sert des Ecritures, alors que nous venons de remettre le livre des Ecritures aux enfants de CE2. Comment lire les Ecritures ? Peut-on leur faire dire n’importe quoi, ainsi que cette histoire de veuve aux sept maris ? Faut-il les prendre au pied de la lettre ? Quelle marge d’interprétation est-elle nécessaire et suffisante ?
On accordera que les Ecritures ne sont pas la parole de Dieu au sens où Dieu aurait lui-même dicté ces textes. Juifs et chrétiens ont toujours pensé que si ces textes sont parole de Dieu, ce n’est pas que Dieu aurait ainsi parlé. Le concile Vatican II reconnaît aux écrivains sacrés un vrai statut d’auteurs, et non un rôle de scribes auxquels Dieu dicterait son message.
Et heureusement qu’il en est ainsi. Cela permet de prendre quelques distances par rapport à la violence biblique, aux coutumes tombées en désuétude, aux croyances invalidées par une purification de la foi. Le texte biblique a une histoire. Il ne fait pas que conter l’histoire de Dieu avec son peuple ; il est lui-même le produit d’époques, de cultures, de conceptions qu’il faut savoir comprendre comme celles d’un moment.
En outre, si l’écrivain sacré n’était qu’un scribe du téléphone divin, un ventriloque du bon Dieu, il manquerait quelque chose de fondamental à notre compréhension des Ecritures. Elles ne sont parole de Dieu qu’à être le récit d’un peuple. La révélation faite à Abraham ou à Ezéchiel, c’est leur affaire, à supposer qu’elles aient existé. Quand Dieu parle, même s’il s’adresse à chacun par son nom, c’est à son peuple qu’il livre les paroles de vie. Vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu.
Mais alors comment Dieu parle-t-il ? Quelle est sa parole ? Nous devrions sans doute plutôt dire que les Ecritures sont la réponse que les hommes adressent au Dieu qui leur parle, la réaction des hommes à cette parole. Nous n’avons pas sous les yeux la parole de Dieu, mais ce qu’elle a provoqué. La parole divine ne se lit pas directement, comme si l’on pouvait voir Dieu en direct, face à face. La parole divine se lit comme une intrigue policière ou une recherche scientifique. Si les hommes ont ainsi écrit, qu’est-ce que Dieu a bien pu leur dire ? La parole de Dieu ne peut que se deviner, se chercher, dans la réponse des hommes qui prennent son interpellation au sérieux.
Si l’homme comme dans le psaume de ce jour crie à l’injustice, crie l’injustice à son Dieu, ce qu’il avait entendu de son Dieu n’était-il pas une parole qui déclarait que la justice est la vocation de l’homme, ce à quoi Dieu lui-même l’appelle ? Nous découvrons ce que Dieu dit dans le cri que nous poussons vers lui. Nous l’entendons, de dos, dans la prière que nous lui adressons, le récit que nous racontons de notre vie avec lui, la loi que nous nous devons de respecter, la parabole et proverbe plein de sagesse.
C’est très important cette affaire, cette impossibilité de faire parler Dieu en direct. C’est la mortification de l’idolâtrie, c’est l’interdit de la confiscation d’une parole de Dieu. Si Dieu a dit et que l’on n’a qu’à répéter, vous imaginez tous ceux qui vont faire parler Dieu, qui vont parler au nom de Dieu. Rien de plus dangereux. Déjà parler en son propre nom c’est difficile. Vous n’avez qu’à penser à ce qui se passe quand vous donnez votre parole, à un ami, à un conjoint. Comme c’est compliqué la parole. Alors, si nous nous mêlons d’être les fonctionnaires des oracles divins, c’en est fini pour nous, et surtout pour Dieu !
Ainsi, quand nous lisons les Ecritures, nous n’entendons pas des messages de Dieu, mais devons chercher ce que Dieu a bien pu dire au cœur de son peuple pour que le peuple ainsi écrive pareille histoire. Les Ecritures obligent à poser des questions, à multiplier les interrogations pour entendre ce qui sera vraiment une parole de vie. Reconnaissons que parfois, nous nous servons des Ecritures comme des paroles de mort.
C’est pourquoi, en recevant le livre des Ecritures, comme les CE2 ce matin, comme nous chaque fois que nous ouvrons la Bible, pour lire il faut interroger, et si possible interroger en Eglise, en communauté. Les Ecritures nous obligent à être curieux, à ce qu’avec les autres, on s’interroge. Plus nous poserons les questions, dans le silence de la prière et le partage de la parole, plus nous aurons entendrons une parole du Dieu qui fait vivre.

02/11/2013

Bonne nouvelle pour les riches (31ème dimanche C)

Nous continuons notre lecture des béatitudes lucaniennes, pas vraiment interrompue par la fête de la toussaint et les béatitudes de Matthieu. Dimanche dernier je concluais par un « bienheureux pécheur qui a trouvé son sauveur », commentant la parabole du pharisien et du publicain au temple.
Ce dimanche, il faut entendre de nouveau cette béatitude, bienheureux Zachée (Lc 19,1-10), bienheureux ceux qui sont perdus, bienheureux ceux pour qui le Seigneur est venu : le fils de l’homme est venu chercher et sauver ceux qui sont perdus. Puisqu’il faut le répéter, Zachée n’est pas bienheureux de mal faire, mais son péché est ce qui lui interdit de se prendre pour quelqu’un de bien. Sa petitesse morale qui l’oblige à monter dans les arbres comme un singe l’ouvre à un salut. Il est riche, il a de quoi se croire important. Le voilà qui se reconnaît petit, c’est sa chance.
Dans cet évangile, les riches ne sont pas dénoncés, comme si souvent. On ne parle pas non plus de ceux qui sont vertueux ou se croient tels. Voilà l’évangile, la bonne nouvelle, adressée aux riches. Jésus ne voit que Zachée au milieu de cette foule si nombreuse. Le livre de la sagesse aide à entendre, l’évangile : tu n'as de répulsion envers aucune de tes œuvres, car tu n'aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui.
Aujourd’hui, il me faut demeurer chez toi. Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison. Luc emploie plus que d’autres cet aujourd’hui. Aujourd’hui vous est né un sauveur est-il dit aux bergers. Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture s’accomplie pour vous. Aujourd’hui, demain et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, répond Jésus à ceux qui l’encouragent à se faire plus discret alors qu’arrive le moment de l’affrontement. Le coq ne chantera pas aujourd’hui, que tu ne m’aies renié par trois fois. Aujourd’hui, avec moi, tu seras en paradis. Et la liste n’est pas exhaustive.
Jésus est au milieu des siens, le fils de l’homme est au milieu des hommes et c’est aujourd’hui. L’indication n’est pas chronologique mais théologique. Dieu est l’aujourd’hui de l’humanité, depuis toujours, et cela est manifesté aux bergers lors de la naissance de Jésus comme au larron lors de sa mort. Cela est déclaré par deux fois à Zachée. L’aujourd’hui de Dieu semble se voir davantage chez les pécheurs et les exclus, chez les malades guéris et aussi pour Pierre et son reniement. Aujourd’hui chez un riche mais un riche qui monte dans un arbre plutôt qu’à acheter ou revendiquer une première place. En laissant les pauvres au premier rang, Zachée a déjà changé de vie.
L’aujourd’hui de Dieu est une urgence pour qui est perdu. Sans doute aussi pour les autres, mais l’évangile du jour n’en parle pas. Pensons à l’enfance et son impatience ; c’est quand qu’on arrive ? C’est quand Noël ? Le temps est trop long pour l’enfant et il faut que se hâte d’arriver l’aujourd’hui. Zachée a attendu de trop.
Cet aujourd’hui est synonyme du salut qui s’y manifeste. L’aujourd’hui de Dieu c’est le salut. Car quand Dieu s’avance, que ferait-il d’autre que de donner sa vie, de redonner la vie, aujourd’hui, encore et toujours, de sauver ? Demanderons-nous ce qu’est le salut? C’est Dieu lui-même, donné à l’homme pour qu’il ait la vie en abondance.
Chez qui Dieu est-il accueilli ? Qui lui donne de libérer des capacités de générosité insoupçonnées, quadruple des capacités à faire le mal ? C’est aujourd’hui que nous sommes sauvés, et non pas seulement après la mort. Le salut décuple nos capacités à être vivants avec et pour les autres. Le salut est-il entré dans nos maisons ? Que sont nos capacité de vivre, d’être vivants, de vivre avec et pour les autres ? Nous savons bien que cela n’a pas forcément à voir avec la générosité. On peut être très généreux et être mort, on peut être généreux pour libérer sa conscience, et tant mieux pour ceux qui en profitent. Mais il n’est pas question ici de conscience, seulement de vie. Il s’agit d’être vivant, de recevoir l’ouverture exponentielle à la vie.
Au lieu même de notre enfermement, de nos impossibilités, de nos impasses, de la richesse de Zachée, une richesse qui est son impasse, Jésus ouvre ce qui est fermé. Bonne nouvelle pour les riches... Comme Zachée, à multiplier leurs dons, ils auront bientôt tout donné. Il y a une issue dans l’impossible, porte étroite peut-être, mais porte tout de même. C’est exactement les béatitudes, heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui souffrent, parce qu’une issue dans l’impossible est ouverte. Par sa mort, Jésus ouvre un passage dans la mort. La rencontre avec Zachée en est l’annonce.

30/10/2013

Sainteté, vie avec Christ, résurrection, vie éternelle, service des frères (Toussaint 2013)

Nous fêtons tous les saints. Nous fêtons la victoire sur la mort et le mal acquise par le Christ. Jésus restaure en tout homme l’image de son Dieu selon laquelle tous avaient été créés. A la fin du temps, le rappel du commencement mythique annonce la vocation de l’homme : ni la mort ni le mal ne sont son destin.
Affirmation de foi que l’on peut certes apprendre et dans l’habitude de laquelle on peut vivre de sorte qu’elle devient une évidence. Certains d’entre nous sont cependant troublés. Alors que tant de ceux qu’ils aiment considèrent cette affirmation comme fadaises, eux-mêmes ne savent plus ce qu’ils croient. Ce n’est pas qu’ils manquent de foi ; ce n’est pas qu’ils sont contaminés par l’athéisme contemporain. Ils sont seulement conviés à rendre compte de l’espérance censée les habiter autrement qu’en affirmant. Il leur faut trouver des mots qui rendent pensable l’annonce de la victoire sur la mort et le mal, qui rendent compréhensible une célébration comme celle de la fête de tous les saints.
On dit que nombre de chrétiens, y compris parmi les pratiquants réguliers, ne croient pas en la résurrection. Il n’est d’ailleurs pas certain que ceux qui disent y croire confessent la foi de l’Eglise. L’ébranlement que constitue la contestation ou l’ignorance par la société du cœur de la foi nous oblige à nous interroger. Que disons-nous lorsque nous confessons la résurrection ? Que disons-nous lorsque nous célébrons tous les saints ?
Il faut dire d’abord que l’on ne sait pas grand-chose d’une vie après la mort, si c’est cela que désigne la résurrection. Nombre de nos discours ont été démontés comme subterfuge pour échapper à la perte irrévocable de ceux que nous aimions, pour nous consoler, ou comme moyen de coercition. La peur d’une damnation éternelle vaudrait mieux que tous les gendarmes moraux ! Il faut reconnaître que même les plus subtiles en théologie n’ont pas été toujours très bien inspirés, ainsi saint Thomas d’Aquin qui pensait que les corps célestes étaient sphériques, car la sphère est le volume parfait. Il est vrai que son légendaire tour de taille lui donnait déjà un air de ressuscité !
Il me semble que nous nous devons à une ascèse du discours lorsque nous parlons de la vie après la mort. Nous n’en savons rien et les Ecritures recourent systématiquement à un discours codé lorsqu’elles se hasardent à en dire quelque chose. C’est le genre apocalyptique, c’est le genre parabolique, par exemple.
Sommes-nous alors réduits au silence ? Je ne le crois évidemment pas. Le point de départ de la confession de foi en la résurrection des morts, c’est-à-dire à la sainteté des élus, réside dans la vie présente, ici et maintenant. C’est parce que, aujourd’hui, nous prétendons vivre en amitié avec Dieu, qu’une vie après la mort est possible.
Vous me direz, il n’est pas plus aisé de montrer le sens de que ce que nous prétendons vivre avec le Christ aujourd’hui que celui d’une vie après la mort. Ce n’est cependant pas certain. Certes, comme le dit la lettre aux Romains que nous lisons ces jours en semaine, nous croyons en espérance. Et si jamais la modalité de l’espérance était remplacée par une certitude du genre deux et deux font quatre, nous serions sans doute en dehors d’un acte de foi. Certes, rien ne garantit que ce que nous prétendons être l’amitié avec le Christ n’est pas une illusion. Et nous ne pourrons jamais complètement écarter, du point de vue de la connaissance, ce risque car l’on ne justifie pas la vie avec le Christ, puisque c’est elle qui justifie tout, et notre vie, et ce monde, et la résurrection, et la sainteté.
Mais tout de même, notre expérience de foi n’est-elle pas qu’il est vivant celui devant qui nous nous tenons, ainsi que le disait déjà le prophète Elie ? Et si nous avons la grâce de l’avoir entendu, bien sûr sans qu’il y ait de parole dans ce récit, ni de voix qui s’entende, si nous avons eu la grâce de l’avoir entendu nous appeler ses amis, alors ce que nous vivons aujourd’hui avec lui est déjà vie éternelle, est déjà résurrection. Vous êtes ressuscités avec le Christ. Si déjà une vie divine est possible, alors pensez bien que la mort n’y changera pas grand-chose ! Voilà ce que nous pouvons affirmer de la vie éternelle, de la sainteté des élus. Si nous vivons déjà avec le Christ, qu’est-ce qui pourra nous séparer de son amour ? Rien, pas même la mort !
On nous objectera, et l’on n’a pas besoin que l’on nous objecte, nous sommes assez grands pour le remarquer nous-mêmes, que cette vie ici et maintenant elle aussi peut être subterfuge ou illusion. Mais peu nous importe car cette résurrection qui nous fait rechercher les réalités d’en-haut trouve son ancrage dans la réalité de l’existence humaine, dans le service des frères. Imaginons un instant que l’amitié du Christ soit illusion, la sainteté née dans le service du frère sera toujours cela de gagné pour rendre un peu de dignité à tout homme, pour le saluer, pour le sauver de l’oubli. Mais si en plus, si ce service était le chemin par lequel nous entendons effectivement le Christ nous déclarer ses amis, alors, oui, nous sommes déjà ressuscités avec le Christ, alors chercher les réalités d’en-haut c’est servir le frère, alors la sainteté est déjà le lot de tous ceux qui se font prochains de leurs frères, qu’ils connaissent ou non le Seigneur de gloire.


26/10/2013

Le péché, chemin de sainteté (30ème dimanche C).

Avec une telle parabole en noir et blanc, opposant le bien et le mal, il est bien difficile de ne pas se croire immédiatement du bon côté. Qui d’entre nous revendiquerait d’être le pharisien ? Qui pourrait écouter sans se sentir agressé un propos qui le rangerait du côté du pharisien ? Quand on voudrait que l’évangile nous conforte, voilà qu’il nous en met plein la figure.
Le prédicateur devra-t-il pour ne déplaire à personne faire croire que tous sont publicains ? Pas certain qu’il se fasse mieux entendre. Car ces publicains de l’évangile sont ceux que l’on appelle aujourd’hui les salauds, l’exact opposé de una muy buena persona ! De sorte que l’on est soit quelqu’un de bien mais empli de la conscience de soi jusqu’à l’écœurement, soit quelqu’un de malhonnête que son humilité rachète.
Du coup, ce n’est pas une parabole en noir et blanc, c’est une parabole en noir et noir. Personne pour racheter l’autre. Comment voulez-vous que le prédicateur se fasse des amis ? Comment Jésus peut-il attirer à lui avec de tels propos ? Nous mesurons le politiquement incorrect de ses paraboles.
C’est que dans ces textes, un chemin est fermé, est dénoncé comme impossible de façon appuyée. L’homme ne fait pas sa sainteté. L’homme ne peut être un juste. Seule la contagion du Saint rend saint, autrement dit, seul le service du frère rend saint puisque c’est à aimer le frère que l’on vit dans la proximité du seul et trois fois saint.
Pour les hommes c’est impossible. Et le pharisien est pire que le publicain, non que son crime soit à la hauteur de la trahison, de l’amour de l’argent ou du sexe du publicain, mais que le pharisien s’accommode de la vilenie ordinaire au point de l’ignorer. Il se pense homme de bien. Ce mensonge est son crime, son hypocrisie sa perte. Il est incapable de tout secours. Il n’a rien à demander, rien à recevoir puisqu’il peut tout, puisqu’il peut de lui-même être saint, parfait.
Le publicain n’est pas plus humble que l’autre, ou du moins nous n’en savons rien. Il est seulement dans l’incapacité de tricher avec sa tricherie. Elle est telle qu’il ne peut la cacher ni l’ignorer. Sa forfaiture saute aux yeux, on ne voit qu’elle. Heureux est-il, non d’être un salaud, mais d’être contraint à attendre d’un autre la justice, sa justification, la vie.
Serait-ce que cette parabole nous oblige à nous reconnaître misérables pour croire en Dieu ? Nietzsche aurait-il raison à dénoncer la religion du petit homme ? Mais si Nietzsche a raison, c’en est fini de l’évangile. Car jamais on ne montrera la grandeur de Dieu à diminuer l’homme, car le dieu du petit homme n’est pas digne d’être Dieu. Le Dieu qui est digne d’être cru est celui dont les fidèles n’ont pas besoin tant ils ont de ressources pour vivre bien, bonnement, sans lui. Il est le Dieu d’hommes et de femmes capables de tout, pour le meilleur et pour le pire, nous le voyons bien ; capables de tout sauf de se donner ce qu’ils ne peuvent que recevoir.
On a inventé à la fin du Moyen-âge une expression qui voulait rendre compte de la grandeur de Dieu. Ce monde est tellement bien, bien fait, qu’il faut le comprendre etsi Deus non daretur, comme si Dieu n’existait pas. La gloire du créateur, c’est d’être ignoré !
C’est incroyable. C’est incroyable du moins tant que l’on reste dans la logique de l’utilité, des préséances, des hiérarchies. Mais si l’on entre dans la logique de l’amour, alors tout change. La gloire, la joie des parents ne réside-t-elle pas dans le fait que leurs enfants n’aient plus besoin d’eux ?
Notre publicain cependant fait encore un pas. Il n’est pas le publicain, mais celui le publicain qui va au temple pour prier. Et nous sommes invités à le suivre. Notre publicain se reconnaît en dette. Assurément le péché est un chemin de la reconnaissance de dette. Le publicain ne nous oblige pas à le suivre dans sa mauvaise vie, même si notre péché est chemin de sainteté, pour peu que nous le regardions en fasse et ne nous croyions pas blanc comme neige, tel le pharisien. Oui, notre péché chemin de sainteté. C’est du saint Paul, là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé.
Il est certes d’autres chemins que celui du péché pour apprendre l’être en dette, par exemple celui de l’action de grâce. Et nous le savons bien nous qui venons faire eucharistie chaque dimanche. La gratuité, l’inutilité de notre Dieu que cependant nous continuons à chérir en est un autre. Nous vivons d’être en dette et la réside notre joie. Le publicain nous indique le chemin de l’être en dette. Notre bonheur est de tout recevoir. Comment pourrions-nous alors ne pas compter sur le Seigneur ? Mais que celui d’entre nous qui n’a jamais péché se bouche les oreilles et que les autres écoutent la béatitude. Bienheureux pécheur qui a trouvé son sauveur. Non pas bienheureux d’avoir fait le mal, mais bienheureux parce que, pécheurs, nous demeurons aimés