13/07/2013

Le bon samaritain (Lc 10,25-37) 15ème dimanche

La parabole du bon samaritain (Lc 10,25-37) est en général interprétée comme une fable de La Fontaine, avec une morale, bien nommée, une leçon pour guider le comportement, que la règle d’or formule : fais à autrui ce que tu voudrais qu’il fasse pour toi. Kant a mis en évidence la limite de cette formulation qui risque de définir notre agir de façon trop intéressée : je donne pour que me soit donné. Il préférait les autres formulations de l’impératif catégorique, ce qui s’impose à nous, absolument, sans aucune concession ni condition : Agis de telle sorte que la maxime qui préside à ton action puisse être érigée en loi universelle.
L’évangile ne contesterait pas la critique de Kant, et si nous lisions correctement, nous n’aurions pas pu retrouver en la parabole la règle d’or. L’évangile est plus radical. Si l’on veut tirer une morale de la parabole, elle s’exprime ainsi : Agis de telle sorte que tout homme trouve en toi un prochain. On ignore ici la réciprocité, et Lévinas pourrait être convoqué. Il s’agit de l’autre, que je ne choisis pas. Mauvaise question, attrape benêt à la Le Pen : qui est mon prochain ? Evidemment, je préfère ma sœur à ma cousine et ma cousine à ma voisine. C’est aussi populiste que raciste, aussi pervers qu’obvie. Non, tu ne décides pas qui est ton prochain. Non, tu ne choisis pas ton prochain, tu ne poses même pas la question qui est ton prochain, tu te débrouilles à faire en sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain.
C’est déjà pas mal, cette première correction de notre lecture spontanée, limite perverse, il est vrai soufflée par la question du légiste. Encore un qui cherche la règle, ce qu’il faut faire, y compris et peut-être d’abord dans la religion, pour être en règle même avec Dieu, surtout avec Dieu, encore un qui ignore tout de la gratuité, et donc de Dieu, puisque Dieu est grâce. En Dieu, tout homme peut trouver un prochain. Dieu aime sans condition, contrairement à ce qu’on entend dans les homélies, où l’on dit que Dieu nous aime à condition que nous nous repentions, que nous fassions ceci ou cela, etc. Je l’ai encore entendu cette semaine dans une bonne paroisse parisienne ! Ces prêtres ne croient pas en Dieu, même convaincus qu'ils soient du contraire. La piété leur fait croire qu'à être très pratiquants, ils sont très croyants. Est-ce pour rien si ce sont gens du culte et prêtres qui passent outre pour n'être pas le prochain de l'homme tombé aux mains des bandits ?
Nous avons lu jusque là la parabole en choisissant le meilleur costume, le costume flatteur, qui nous va si bien au teint, celui du samaritain. Mais nous pourrions aussi prendre les guenilles de celui qui agonise. Personnage numéro deux de la parabole. Il ne parle pas, il ne dit rien, mais tout tourne autour de lui. Si nous sommes celui qui meurt, alors qui donc est le samaritain, l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, celui qui descend ? Pour toutes les paraboles, une seule question sert de clé : Vous voulez savoir qui est Dieu ? Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho…
L’extravagance de la générosité, son excès, aurait dû nous mener sur la piste de Dieu. Mais comme nous pensons mal de Dieu, comme nous pensons Dieu comme le surmoi, alors, nous ne pouvons le voir derrière tant de générosité. Cela ne nous choquait pas de nous y voir dans ce samaritain, nous nous y voyions même très bien, alors qu’honnêtement, un peu de générosité, pourquoi pas, mais à ce point !
Alors la parabole n’est plus une histoire morale, une règle du comportement, débrouille toi à faire que tout homme puisse trouver en toi un prochain, mais une leçon théologique : vous voulez savoir qui est Dieu ? Il est celui qui relève de la mort, il est celui qui sauve, offre le salut, ne serait-ce qu’en n’ignorant pas celui que personne ne salue.
Que nous soyons agonisants ne saute pas aux yeux, dites-vous ? Ou bien encore, faut-il pour être chrétien cultiver le sentiment de la faute, le misérabilisme ? Faut-il pour croire rabaisser l’homme à celui qui agonise dans un fossé ? Evidemment non. Et si l’on veut dire la grandeur de Dieu, il faut partir de la grandeur de l’homme. Mais ici, il s’agit d’autre chose. Il s’agit du mal et de la mort, de la violence et de l’injustice. Un homme jeté au fossé, laissé pour mort. Qui en a soin ? Et si, jamais dans notre vie, nous avons été jeté agonisant au fossé, si jamais, nous n’avons cherché un sauveur, c’est sans doute que nous sommes de ceux qui sont les bourreaux de leurs frères, ou du moins, de ceux qui n’ont jamais compatis devant l’innocent torturé, l’enfant qui meurt de faim, la femme violée.
Une bonne part de la littérature patristique, et jusqu’aux vitraux de Chartres, comprennent le samaritain comme Jésus qui descend du ciel pour donner la vie. Avec l'huile des sacrements et le vin de l'eucharistie, il prend soin des ses frères. Parabole du salut.
Mais il faut se demander une nouvelle fois si nous ne nous sommes pas trompés dans l’attribution des costumes. Celui qui meurt dans un fossé, abandonné de tous, homme de douleur devant qui on se voile la face, on détourne le visage tant il n’a plus figure humaine, qui serait-ce si ce n’est le Jésus du prophète Isaïe ?
Alors c’est Jésus qui gît au fossé comme il pend au gibet, maudit, au milieu des criminels. Qui sera le samaritain de Jésus ? Qui viendra essuyer son visage et recueillir le sang qui coule de ses plaies ? Notre humanité, notre Eglise, notre communauté, comme François à Lampedusa, viendront-elles pleurer les disparus que l’on oublie, pour les saluer, ne pas les oublier précisément, les relever de l’oubli de la mort, les sauver, même morts.
Vous ignorez tout de ce Jésus qui souffre ? Relevez le frère, vous relèverez Jésus. S’il est défiguré, pas étonnant que vous ne puissiez le reconnaître. Relevez le frère, et vous relèverez Jésus que vous le sachiez ou non. Et, saisissant la chair de celui qui a pris la vôtre, vous serez vous aussi relevés, dans un admirable échange que nombre de peintres a enseigné, lorsque l’on ne sait plus à méditer leur toile qui est Jésus du samaritain ou de l’agonisant, qui est l’homme agonisant, de Jésus ou du samaritain.

1 commentaire:

  1. Dos ideas que llaman la atención: tú eres el prójimo, y tu comportamiento debe ser tal que todos lo reconozcan en ti. Y la segunda: la búsqueda de la norma y su exigencia te llevan a olvidar la gracia infinita de Dios. Muchas gracias por una homolia tan novedosa sobre la parábola del buen samaritano.

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