12/07/2014

Voici : Le semeur est sorti pour sermer. (15ème dimanche)


Vous imaginez un semeur qui sème et non seulement envoie du grain sur le chemin, mais aussi sur le sol pierreux et dans les ronces ? (Mt 13, 1-23) Peut-on penser un instant qu’un tel semeur existe ? Longeant le champ, il y a sans doute un chemin ; alors le semeur fait attention pour qu’il ne tombe pas de grain sur le chemin. Au milieu du champ, son geste est ample, sur le bord, plus précis.
En revanche, ce ne serait vraiment pas de chance que ce champ soit à la fois bordé d’un chemin, qu’il y ait des ronces et un sol pierreux ! Non seulement le semeur ne fait pas attention, mais en plus son champ est situé dans un lieu peu propice à la culture pour que du grain puisse tomber en tous ces endroits infertiles. On finirait même par croire à lire la parabole sans essayer de se représenter la scène, qu’il y a quatre terrains qui ont à peu près même superficie et que le semeur jette la semence quel que soit le terrain.
Qui donc peut ainsi semer ? Certainement pas un semeur, qui ne gaspillerait pas ainsi le grain. Sans doute quelqu’un qui n’y connaît rien. L’extravagance de la parabole que tous repèrent, celle de l’épi qui peut aller jusqu’à donner cent grains, est précédée par une autre exagération, plus grande encore, celle du semeur. Sa prodigalité est plus importante que la récolte. D’autant que l’on ne parlera pas de la récolte ! On n’a jamais vu cela.
Est-ce à dire qu’aux yeux du semeur il n’y a qu’un seul terrain ? Se pourrait-il que toute terre soit bonne à cultiver ? Les premiers versets de la Genèse peuvent le laisser penser. « Dieu dit : Que la terre verdisse de verdure : des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur semence et il en fut ainsi. La terre produisit de la verdure : des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : troisième jour. »
Mais la terre, ce n’est pas le paradis ! A moins qu’il importe de fixer le regard sur le semeur plus que sur les terrains, ou du moins, sur le semeur d’abord. Alors apparaît une autre curiosité : nous avons affaire à un semeur de profession. Ce n’est pas un paysan qui sort pour semer. Ce n’est pas un moissonneur, nous l’avons dit, on n’en parle pas. C’est un semeur qui sort pour semer, quasi pléonasme. En grec, le mot a gardé sa forme verbale et le latin utilise fidèlement deux verbes qu’il juxtapose de façon quasi intraduisible en français, voici qu’est sorti celui qui sème semer, voici qu’est sorti semer celui qui sème. C’est sur l’acte du semeur qu’est braqué l’objectif, et cela ne fait que souligner la démesure des semailles.
De ce semeur, on sait encore une chose. Il est sorti. Le verbe est ainsi conjugué qu’il ne s’agit pas d’une sortie banale, mais d’un acte posé à un moment précis. D’où est-il sorti, pour aller où ? Cela n’est pas préciser. Importe seulement qu’il sorte, souligné par la préposition : Voici, il sortit.
Arrêtons-nous à ce qu’on nous montre, ce qu’il faut voir ici. Voici, celui qui sème sortit pour semer. Déjà la parabole fonctionne. Comme toujours, pour l’interpréter, il faut non pas poser la question qui est le semeur, car alors, on entre dans une interprétation allégorique, à chaque élément du texte, correspond un élément de l’enseignement. Et c’est cette lecture allégorique que propose le commentaire évangélique.
Mais pour interpréter une parabole, il faut poser une autre question, qui précède la parabole. Non pas « qui est le semeur ? », après coup, une fois qu’on a déjà entendu, non pas faire surgir une question de la parabole, mais retrouver la question à la quelle la parabole serait la réponse. Quelle question faut-il poser pour que l’on répondre en racontant la parabole ?
Vous voulez savoir qui est Dieu ? Voici, il sortit, le semeur, semer. Et il jette du grain partout comme si tous les terrains étaient bonne terre, à profusion. Là, on reste bouche-bée. C’est donc ainsi Dieu ! Il est donc ainsi Dieu ! Si vous identifiez le semeur en disant, le semeur c’est Dieu, la semence la parole, il n’y a plus rien à dire, plus rien d’étonnant, plus rien devant quoi s’émerveiller. On apprend peut-être des trucs sur Dieu, mais cela nous laisse de marbre.
Mais si vous faites de la parabole une réponse, alors la question, la seule pour toutes les paraboles, « Voulez-vous savoir qui est Dieu ? » ouvre à l’inouï, c’est-à-dire au croyable. Au lieu de clore l’interrogation, de la résoudre, la parabole avance une réponse qui ouvre un monde insoupçonné. Depuis le temps qu’on veut savoir qui est Dieu ! Et Jésus débarque. Lui aussi sort. Tiens ! On le regarde. Il s’assoit. Suspense… Il y a du monde. Il recule. Je vous le dis qu’il faut prendre la question avant, et non après. Un pas de recul, pour monter dans la barque. Et là, lorsque l’on n’en peut plus du suspense…
Vous voulez savoir qui est Dieu ? » Il sort. Il ne reste pas chez lui, pour lui. Il sort, il sortit, au début et toujours. Au début parce que c’est cela la création, et toujours, parce qu’il n’y a pas de temps pour lui, parce qu’il s’occupe encore de sa création, parce qu’il est créateur (et non qu’il l’a été autrefois), il sauve comme il crée ; il crée, c’est-à-dire, il donne la vie, il sauve. C’est ainsi Dieu ! Il donne à profusion, il jette la semence, la fécondité à profusion, sans compter.
 

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