26/11/2014

Qui criera à Dieu le désespoir des hommes ? (1er dim de l'Avent)



Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes fondraient devant toi (Is 64,15). Ne faut-il pas dire et redire ce cri déchirant ? N’est-ce pas notre devoir de crier vers Dieu le scandale de la mort, du mal, de la souffrance ? N’est-il pas le seul à pouvoir instaurer un nouveau monde s’il est rédempteur, sans parler de sa responsabilité quant à cette souffrance s’il est créateur ?

Dès lors que nous confessons un Dieu bon, tout puissant et créateur ne sommes-nous pas contraints de voir le mal l’accuser ou… provenir de notre seule responsabilité ? Le péché originel serait ici la solution pour éviter d’accuser Dieu du mal. Déjà le vieux Platon prenait soin d’avertir : il vaut mieux dire que Dieu est bon plutôt que tout-puissant.

Mais laissons la question de l’origine du mal et contentons-nous de celle de l’espérance d’en être enfin délivré. Certes, nous pouvons dresser quelques digues contre le mal. Certes, nous pouvons tenter de faire gagner un peu plus le bien. D’une part c’est sans fin, d’autre part, c’est impossible. Comme lors d’inondations, les digues du bien si difficilement dressées sont renversées en un clin d’œil, ici par une guerre, là par une catastrophe naturelle, ailleurs par une épidémie.

Ainsi donc, notre capacité à faire le bien semble si limitée par rapport à ce qu’il y aurait à faire. Ce n’est pas une raison pour baisser les bras, certes, mais nous n’y arriverons jamais. Voilà pourquoi nous crions avec le prophète : Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes fondraient devant toi.

Ce cri n’est pas tant celui du mal-croyant qui tenterait Dieu et ne verrait pas son action dans le monde, comme au pied de la croix : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » (Lc 23,37) C’est le cri du croyant, assuré de ce que pour l’homme c’est impossible, comme dit l’évangile. L’homme ne se donne pas son salut, non seulement parce que c’est au-delà de ses possibilités, mais surtout en raison de la nature du salut qui ne peut être que reçu. Voilà pourquoi pour les hommes c’est impossible. Le paradis sur terre, l’utopie marxiste, tous les fascismes qui prétendent apporter les solutions, d’abord de façon populiste, puis par la violence, sont condamnés d’avance quand bien même ils commencent par condamner beaucoup d’innocents. Les paradis terrestres ne sont pas notre avenir quand bien même ils ont un bel avenir.

Peut-être, notre responsabilité de chrétiens commence ici. Ne pas refuser de crier vers Dieu et ainsi confesser que nous ne pouvons attendre que de lui le salut. Qui criera à Dieu l’exaspération, la fatigue, le désespoir des hommes si nous ne le faisons pas ? Notre responsabilité, en la matière, n’est-elle pas d’être auprès de Dieu la voix de tous ceux qui ne savent pas à qui crier leur attente d’un nouveau monde ? Ne nous a-t-il pas assurés que son fardeau à lui est léger et que c’est auprès de lui qu’il nous faut chercher le repos ?

Faire monter vers Dieu le cri et l’attente des hommes, n’est-ce pas notre devoir à nous qui avons reconnu que le Dieu qui vient est l’avenir de l’humanité ?

Mais que signifie cette attente de Dieu par l’homme si Dieu ne vient pas ? Que signifie l’espérance mise en ce Dieu pour nous sauver s’il n’y a pas de Dieu ou un Dieu qui reste enfermé dans son silence ? Et de fait, n’est-ce pas ce que nous constatons, l’inaction de Dieu ? Certains répondront qu’il vient consoler tel ou tel, voire le convertir. Mais qu’est-ce que cela à côté de tout ce qu’il faudrait faire de façon si urgente pour sauver tant et tant d’enfants qui meurent de faim ? Ne s’agit-il pas de guilis spirituels bien dérisoires qui ne font qu’accuser un peu plus Dieu ? Il pourrait agir pour convertir, mais pas pour sauver les enfants qui crèvent ! D’autres diront que Dieu nous laisse libres ! Mais qu’est-ce que la liberté quand des enfants meurent ? Aussi ambigus que soient nos engagements, c’est justement pour défendre l’innocent que nous nous opposons à la liberté des barbares. Bref, qu’est-ce qui permet d’espérer pour tous lorsque nous faisons monter vers Dieu la fatigue des hommes ?

A écouter le Christ et son Evangile, à écouter le Christ, lui, l’évangile de Dieu, quelle bonne nouvelle ! Dieu vient. Quand Dieu vient, cela fait tellement longtemps qu’on l’attend, que ce ne peut être qu’à l’improviste.

Alors, il faut veiller. Et notre cri : Ah ! Si tu déchirais les cieux n’est plus seulement notre responsabilité mais un commandement de Dieu lui-même, veillez ! (Mc 13,37) C’est notre mission. Comment ne serons-nous pas endormis si nous ne déchirons pas les cieux de nos cris devant tant de souffrances ? Il faut bien être endormi par le confort et le repli sur notre petit univers pour ne pas crier.

Nous ne nous préparons pas en cet avent à la naissance de Jésus. C’est fait il y a belle lurette et cela ne se reproduira plus. Nous nous préparons à veiller parce qu’il n’y a pas d’autre manière d’être chrétiens. C’est l’avent, c’est le moment de faire résonner le cri des désespérés, des souffrants, de tous ceux qui sont morts et n’ont plus de cri.


23/11/2014

Une citation par semaine




 
63 « Que rien ne te trouble
Que rien ne t’effraie
Tout passe.
Dieu ne bouge pas.
La patience vient à bout de tout.
Celui qui a Dieu ne manque de rien
Dieu seul suffit »
Poésies 9

62 « Il vous semble que ceux-ci n’aiment personne ni n’en veulent rien savoir, sinon de Dieu. Bien au contraire, et avec un amour plus vrai, et avec plus de passion et d’amour plus bénéfique, enfin, c’est de l’amour. Et de telles âmes sont toujours attachées à donner beaucoup plus qu’à ne recevoir ; et elles sont aussi ainsi envers le Créateur lui-même. Je dis que cela mérite le nom d’amour et que les autres basses affections n’en ont qu’usurper le nom. »
(Chemin Vall, 6, 7)

61 « Le signe le plus sûr, à mon avis, qu’il y ait que nous gardions ces deux choses [le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain], c’est de garder bien l’amour du prochain, parce que si nous aimons Dieu, cela ne peut se savoir (quoiqu’il y ait de grands indices pour comprendre que nous l’aimons), mais l’amour du prochain, si. Soyez aussi certaines, plus vous aurez progressé en celui-ci, plus vous le serez dans l’amour de Dieu, parce que l’amour que Sa Majesté a pour nous est si grand, qu’en retour de l’amour que nous avons pour le prochain, il fera que croisse celui que nous avons pour Sa Majesté de mille manières. De cela, je ne peux douter. »
(Demeures V, 3, 8)

60 « Mais hélas, douleur, hélas quelle est ma douleur, mon Seigneur ! Car lui avait les œuvres et moi seulement des paroles. Je ne suis bonne à rien de plus. Que vaillent mes désirs, mon Dieu, devant votre divine observance [de la volonté du Père], ne regardez pas mon peu de mérite. Que nous méritions tous de vous aimer, Seigneur. Puisqu’il faut vivre, vivons pour vous, trêve de nos désirs et intérêts. »
Exclamations XV, 3

59 « Quelqu’un me pria un jour de supplier Dieu de lui faire entendre s’il devait accepter un évêché dans le but de le servir. Le Seigneur me dit après la communion : « Quand il aura compris en toute vérité et clarté que la vraie grandeur est de ne rien posséder, il pourra l’accepter » ; il faisait ainsi comprendre que ceux qui accèdent aux prélatures doivent être bien éloignés de les désirer et de les vouloir ou du moins de les rechercher. »
Vie, 40, 16

58 « Ne faites pas comme certaines moniales qui ne font pas si ce n’est promettre ; comme elles n’accomplissent [leurs vœux], elles disent qu’au moment de leur profession, elles n’ont pas compris ce qu’elles promettaient. Je le crois bien, parce qu’il est facile de parler et très difficile d’agir. Et si elles ont pensé que l’un [agir] n’était pas plus que l’autre [parler], il est certain qu’elles n’avaient pas compris. »
Chemin, 54, 5

57 « On ne doit pas craindre lorsque l’on marche en vérité devant Sa Majesté avec une conscience pure. Mais je souhaiterais toutes les craintes pour ne pas offenser un instant celui qui à l’instant-même peut nous dé-faire. Que sa Majesté soit content de nous, qui serait contre nous s’en prendrait la tête à deux mains ! On dira peut-être : quelle est l’âme si droite qu’elle peut le contenter en tout ? et c’est pourquoi je crains. En tout cas, pas la mienne, qui est si misérable, sans intérêt et remplie de mille misères. Mais Dieu ne nous exécute pas comme les gens, qui comprend nos faiblesses. Et l’âme, par des grandes réflexions, sent en elle si elle l’aime en vérité. »
Vie, 26, 1

56 « Il me laissait toute embrasée dans un grand amour de Dieu. Si grande était la douleur qu’elle me faisait pousser ces gémissements et si excessive la douceur que ma causait cette douleur très grande, qu’il ne faut pas désirer qu’elle s’arrête et que l’âme ne peut se contenter de rien moins que Dieu. Cette douleur n’est pas corporelle, mais spirituelle ; et pourtant le corps n’est pas sans y participer un peu, et même beaucoup. C’est un propos galant si doux qui passe entre l’âme à Dieu, que je suppliai, moi, de sa bonté qu’elle le donne à goûter à qui penserait que je mens. »
Vie, 29, 13

55 « Elle voit clairement qu’elle n’a rien fait pour attirer cet amour, mais une étincelle du très grand amour du Seigneur tombée en elle l’a soudain enflammée et elle brûle tout entière. Oh ! que de fois dans cet état, me suis-je rappelée le verset de David Comme un cerf assoiffé désire l’eau vive, et ai-je cru le voir réalisé en moi à la lettre ! »
Vie, 29, 11

54 « Oh, si seulement quelqu’un savait expliquer la nature de cette sainte compagnie avec le compagnon des âmes, Saint des saints, compagnie où rien n’entrave la solitude de l’âme avec son Epoux, lorsque cette âme veut rentrer au-dedans d’elle-même dans ce paradis avec son Dieu et ferme la porte à toutes les choses du monde ! Comprenez bien qu’il ne s’agit pas ici d’une chose surnaturelle, mais d’une chose que nous pouvons réaliser avec la grâce de Dieu (je sous-entends cette dernière chaque fois que, dans ce livre, je dirai « nous pouvons », puisque sans lui, on ne peut rien, rien). »
Chemin, 49, 3

53 « O Seigneur ! Prends en considération tout ce que le manque de connaissance nous fait souffrir dans ce chemin spirituel. Le mal vient de ce que, nous imaginant que toute notre science doit être de penser à toi, nous ne savons pas interroger les hommes instruits et ne comprenons même pas qu’il soit nécessaire de le faire. Faute de lumière, nous passons par de terribles souffrances, et les choses les meilleures nous paraissent de grandes fautes. »
Demeures IV, 1, 9

52 « Qu’il soit bien établi désormais que tout ce qui nous captive au point de nous ôter l’usage de notre raison doit nous être suspect et que jamais par cette voie on n’acquerra la liberté de l’esprit. Un des caractères de cette liberté est de trouver Dieu en toutes choses et de pouvoir appliquer son intelligence à n’importe quel objet. Le reste n’est qu’un esclavage de l’esprit.
[… y compris quand des personnes] comme il arrive souvent, disent et sont persuadés qu’elles sont toutes plongées dans la divinité, et tellement suspendues qu’elles ne peuvent résister, ni faire diversion. »
Fondations, 6, 15-16

51 « O mon Dieu, comme c’est beau et merveilleux un feu qui rafraîchit ! Et oui, un feu qui glace même toutes les affections du monde. Quand l’eau vive du ciel se joint à ce feu, il n’il y a pas à craindre la moindre once de chaleur ! »
Chemin, 31, 3

50 « Là où est Dieu, là est le ciel. […] Pensez-vous qu’il importe peu à une âme qui a tendance à se distraire de comprendre cette vérité et de savoir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père éternel et se délecter avec lui ? qu’elle n’a pas besoin non plus de prier en criant en très fort ? Si bas qu’elle parle, il l’entendra ; elle n’a pas besoin d’ailes pour aller le chercher. Elle n’a qu’à se mettre dans la solitude, regarder au-dedans d’elle-même et ne pas s’étonner d’y trouver un si bon hôte. »
Chemin, 46, 2

49 « O délices, Seigneur de toutes choses créées et mon Dieu ! Jusques à quand attendrai-je votre présence ? Quel remède donnez-vous à celle qui n’a guère de repos sur terre si ce n’est en vous ? O vie longue, ô vie pénible, ô vie qu’on ne vit point ! O solitaire solitude ! Qu’elle est sans remède ! Donc quand Seigneur, quand, jusques à quand ? Que puis-je faire mon bien, que puis-je faire ? Devrais-je d’aventure désirer de ne point vous désirer ? O mon Dieu et mon créateur, vous frappez et n’appliquez pas l’onguent, vous blessez et l’on ne voit pas la plaie, vous tuez et on en est que plus vivant. Enfin, mon Seigneur, le tout puissant qui fait ce qu’il veut. Mais mon Dieu, voulez-vous qu’un ver de terre aussi méprisé souffre ces contrariétés ? »
Exclamations VI

48 « Considérez qu’il est vrai que Dieu se donne lui-même à ceux qui quittent tout pour lui. Il ne fait pas acception de personne, il aime tout le monde, nul n’a d’excuse, même le plus misérable, puisqu’il en a usé ainsi avec moi. »
Vie, 27, 12

47 « Comment pourrait nous arriver un jet d’eau s’il n’avait une provenance ‑ comme je l’ai dit – ainsi il s’entend clairement qu’il y a à l’intérieur quelqu’un qui lance ces flèches et donne la vie à cette vie, et qu’il y a un soleil dont procède une grande lumière qu’on envoie aux puissances de l’intérieur de l’âme. Elle – comme je l’ai dit – elle ne bouge pas de son centre, ni ne perd la paix, parce que celui-là même qui la donna aux apôtres quand ils étaient ensemble, il la lui donne à elle. »
Demeures VII, 2, 6

46 « Oh mon Seigneur, que vous êtes bien l’ami véritable. Vous êtes tout puissant, lorsque vous voulez vous pouvez, et vous ne refusez jamais d’aimer si on vous aime. Que toutes les choses vous louent, maître du monde. Oh que je voudrais crier fort pour dire à ce monde combien vous êtes fidèle à vos amis. »
Vie 25, 17

45 « O mon Jésus, que votre amour pour les enfants des hommes est grand, puisque le meilleur service que l’on peut vous rendre est de vous quitter pour l’amour d’eux et pour leur bien. »
Exclamations II

44 « Je ne saurais dire ce que nous laissons du monde, nous qui disons tout quitter pour Dieu, si nous ne laissons le principal, c’est-à-dire la famille. […] Dans cette maison, mes filles, ayons grand soin de les recommander à Dieu, après ce qui a été dit quant à nos devoirs envers son Eglise, comme c’est raisonnable ; pour le reste, éloignons-les le plus possible de notre mémoire. »
Chemin, 13, 2-3

43 « Un jour que j’entrais dans l’oratoire, j’y aperçu une statue […] qu’on avait placée là en attendant. Elle était d’un Christ tout couvert de plaies et si touchante qu’à la regarder je me sentis profondément bouleversée parce qu’elle représentait bien ce qu’il endura pour nous. Ce que je ressentis du mal par lequel je l’avais remercié de ces plaies fut tel que je croyais sentir mon cœur se briser. […] Je trouvais, moi, qu’étant seul et affligé, comme une personne dans le besoin, il ne pouvait que m’accepter. J’avais beaucoup de naïvetés de ce genre. En particulier, j’aimais beaucoup la prière au jardin. C’était là que je l’accompagnais je pensais à la sueur et à l’affliction qu’il y avait eues. »
Vie, 9, 1. 4

42 « Quand quelqu’un sera arrivé à la perfection, on lui dira immédiatement que ce n’est pas nécessaire [d’avoir des amis], qu’il suffit d’avoir Dieu. Bon moyen pour avoir Dieu, s’entretenir avec ses amis. Il en sort toujours un grand profit. Je le sais par expérience ; que si, après le Seigneur, je ne suis pas en enfer, je le dois à de semblables personnes qui toujours ont eu grand soin de me recommander à Dieu, et ainsi me l’ont obtenu. »
Chemin, 11, 4

41 « Mon amour et ma confiance envers ce Seigneur s’accrurent de tant le voir, puisque j’avais avec lui de si continuelles conversations. Le Dieu qu’il est, je vis qu’il est homme, qu’il ne s’étonne pas des faiblesses des hommes […] Bien qu’il soit Seigneur, je peux le traiter en ami, je comprends qu’il n’est pas comme ceux que nous prenons ici-bas pour seigneurs qui mettent toute leur grandeur dans des marques d’autorité postiche. Il y a des heures pour leur parler et ceux qui leur parlent sont des privilégiés. »
Vie, 37, 5

40 « Je ne sais pas ce que je viendrais à faire si j’étais condamnée sans raison. Pour l’heure, je me vois si coupable à vos yeux que tout reste sans issue, même si ceux qui ne savent pas celle que je suis, comme vous le savez, pensent que j'en rajoute. Ainsi, ô mon Père, c’est gratuitement que vous devez me pardonner ; votre miséricorde a ici une belle occasion de s’exercer. Soyez béni vous qui me souffrez si pauvre ; ce que dit votre fils très saint au nom de tous, telle que je suis, je dois en être exclue. »
Chemin, 63, 2

39 « Sa Majesté nous a déjà accordé une grande faveur en nous appelant dans cette maison ; le principal est fait ; mais il nous reste à nous détacher de nous-mêmes. Cette mise à l’écart de notre “moi” est chose ardue, car nous sommes très unies à nous-mêmes et nous nous aimons beaucoup. »
Chemin, 14, 2

38 « Je suppliais le Seigneur de me venir en aide. Mais une chose me manquait sans doute, je crois m’en rendre compte à présent : c’est que je ne me confiais pas entièrement à sa Majesté et ne me défiais pas absolument de moi-même. Je cherchais un remède, je prenais des moyens, mais évidemment je ne comprenais pas encore que tout cela sert de peu quand on ne bannit pas toute confiance en soi-même ; pour placer totalement sa confiance en Dieu. »
Vie, 8, 12

37 « Me voici donc là où j’avais coutume de m’isoler dans l’oraison. Je commence à parler au Seigneur, fort recueillie, dans un style niais, car je m’adresse souvent à lui sans savoir ce que je dis. C’est l’amour qui parle, et l’âme est si hors d’elle que je ne vois plus la différence qu’il y a d’elle à Dieu. A la pensée de l’amour de Sa Majesté pour elle, elle s’oublie, elle croit être en lui ; comme sa propre chose sans séparation, elle dit des folies. […]
Oh, bonté et grande humanité de Dieu, qui ne considère pas les paroles, mais les désirs et la volonté avec laquelle ils se disent ! Comment supporte-t-il que quelqu’un comme moi parle si hardiment à Sa Majesté ! Qu’il soit béni à jamais. »
Vie, 34, 8-9

36 « Ici dire n’est pas possible ; comprendre, l’intelligence ne le peut et les comparaisons ne peuvent servir à expliquer car les choses de la terre sont bien basses pour une telle fin. Envoyez du ciel, mon Seigneur, la lumière pour que je puisse en donner quelque peu. » Demeures V, 1, 1

35 « L’empereur du ciel et de la terre viendrait dans ma maison pour m’accorder une faveur et séjourner avec moi, et, par humilité, je ne voudrais ni lui répondre, ni rester avec lui ? et je le laisserais tout seul alors qu’il me prie de lui présenter mes requêtes ? Je croirais me montrer humble en restant dans ma pauvreté ! […] Ne faites aucun cas, mes filles, de ces sortes d’humilités : traitez avec lui comme avec un père, un frère, un homme – choisissez tantôt une manière, tantôt une autre. »
Chemin, 46, 3

34 « Un jour où je me demandais pour quelle raison Notre Seigneur aime tant cette vertu d’humilité, sans réflexion préalable ce me semble, ceci, soudain, me parut évident : Dieu est la suprême Vérité, et l’humilité, c’est d’être dans la vérité ; en voici une fort grande : nous n’avons de nous-mêmes rien de bon, nous ne sommes que misère, néant ; quiconque ne comprend pas cela vit dans le mensonge. Plus on le comprend, plus on est agréable à la suprême Vérité, car on vit en elle. Plaise à Dieu, mes sœurs, de nous faire la grâce de ne jamais nous écarter de cette connaissance de nous-mêmes. Amen. »
Demeures VI, 10, 8

33 « Pour me faire comprendre ce qu’est l’union. "Ne crois pas ma fille, que l’union consiste à être tout près de moi, car ceux qui m’offensent le sont aussi, même sans le vouloir. Elle ne consiste pas non plus dans les régals et les délices de l’oraison, même si je les accorde à un très haut degré ; ce n’est souvent qu’un moyen de gagner les âmes, même si elles ne vivent pas en grâce." […] Et il me semble à moi, que si l’état d’union c’est ceci, que notre volonté et notre esprit soient faits un avec l’esprit de Dieu, il est impossible d’y parvenir sans être en état de grâce ; on m’a pourtant dit que oui. Il me paraît donc bien difficile de comprendre quand il y a union, sauf par une grâce particulière de Dieu, car nous ne pouvons savoir quand nous nous y trouvons. »
Faveurs, 26, 1. 5-6

32 « Que sa Majesté m’aide à appeler repos ce qui est repos, honneur ce qui est honneur, délices ce qui est délices, et point tout à l’envers. Et la nique à tous les démons ! Ce sont eux qui auront peur de moi ! Je ne comprends pas ces peurs : démons ! démons ! lorsque nous pouvons dire Dieu ! Dieu ! et le faire trembler. »
Vie, 25, 22

31 « Vous me direz que [ces désirs] sont imperfection ; pourquoi ne se conforme-t-elle pas à la volonté de Dieu puisqu’elle lui est si soumise ? […] Par chance, sa raison n’est pas maître d’elle-même, ni de penser à autre chose qu’à ce qui l’obnubile, étant loin de son bien par lequel elle veut vivre. Elle sent une solitude étonnante ; elle ne trouve aucune compagnie dans les créatures de la terre – je crois qu’elle n’en trouverait même pas parmi celles du ciel, puisque ce n’est pas celui qu’elle aime – ; plutôt, tout la tourmente. […] Elle se voit brûlée par cette soif, et ne peut arriver à l’eau. Et il ne s’agit pas d’une soif qui puisse se supporter ; elle en est à un degré tel qu’aucune eau ne peut l’étancher – et elle ne veut pas qu’il en soit autrement – si ce n’est l’eau dont parla notre Seigneur à la Samaritaine. Et cela, on ne le lui donne pas. »
Demeures VI, 11, 5

30 « Je dis "en secret" car le langage de la vérité n’est plus en usage. Les prédicateurs eux-mêmes arrangent leurs sermons de manière à ne mécontenter personne. Leur intention est bonne et leurs actes aussi ; mais enfin, de cette façon peu émondent leur vie. De plus, pourquoi sont-ils si peu nombreux ceux que les sermons sortent des vices publics ? Vous voulez savoir ma pensée ? C’est que les prédicateurs ont trop de cervelle ! Ils ne s’en gardent jamais en faveur du grand feu de l’amour divin à la différence des apôtres ; ainsi cette flamme réchauffe-t-elle peu. »
Vie, 16, 7

29 « Que fera, je le demande, celui qui, durant de longs jours, n’éprouve que sécheresse, ennui, répugnance ? […] Eh bien, il se réjouira, il regardera comme une grâce immense de travailler dans le jardin d’un si grand empereur. […] Il aidera son Seigneur à porter sa croix pensant qu’il vécut toute sa vie en croix ; il ne cherchera pas ici-bas son royaume ; il n’abandonnera jamais l’oraison ; il demeurera fermement résolu à ne pas laisser tomber le Christ sous le poids de sa croix, quand bien même la sécheresse devrait durer autant que sa vie. »
Vie, 11, 10

28 « Que celui qui n’a pas commencé [la prière personnelle], pour l’amour du Seigneur, je le supplie, de ne pas passer à côté d’un tel bien. Il ne s’agit pas ici de craindre mais de désirer. Quand bien même on n’avancerait pas ni ne ferait d’effort pour être parfait, afin de mériter le plaisir et les cadeaux que Dieu donne à ceux-là, on gagnera du moins à connaître le chemin du ciel ; et si l’on persévère, j’espère moi en la miséricorde de Dieu, qu’à personne qui le prend pour ami il ne le lui rend pas. La prière silencieuse n’est rien d’autre, ce me semble, qu’une affaire d’amitié, un entretien fréquent toute seule avec celui dont nous savons qu’il nous aime. »
Vie, 8, 5

27 « Comment mon Dieu ! Cela ne suffit pas que vous me reteniez dans cette vie misérable, que je le supporte pour l’amour de vous, que je veuille vivre où tout est embarras pour jouir de vous, où il me faut manger, dormir, m’occuper d’affaires, voir des gens ? Et tout cela je le supporte par amour de vous. Vous le savez le bien, mon Seigneur, que ce m’est un grand tourment et aux moments si petits qu’il me reste pour jouir de vous, vous vous cachez de moi ! Comment votre miséricorde le souffre-t-elle ? Comment l’amour que vous avez pour moi peut-il l’endurer ? Je crois moi, Seigneur, que s’il m’était possible de me cacher de vous comme vous le faites de moi, je crois, je pense de votre amour pour moi, que vous ne le souffririez pas. Mais vous êtes, vous, avec moi et me voyez toujours. Ce n’est pas supportable, mon Seigneur, je vous supplie de considérer que c’est faire injure à qui vous aime tant. »
Vie, 37, 8

26 « Oh mon fils […], que restent entre nous certaines choses où Votre Grâce jugera que je passe les bornes ! Nulle raison ne m’empêche de déraisonner quand le Seigneur me sort de moi-même ; je ne crois pas que ce soit moi qui parle depuis que j’ai communié ce matin. Il me semble que je rêve ce que je vois, et je ne voudrais voir que des malades de ce mal que j’éprouve. J’en supplie Votre Grâce, soyons tous fous, pour l’amour de celui qui fut ainsi traité pour nous. »
Vie, 16, 6

25 « Je dis bien que les imparfaits ont besoin de plus de courage pour s’engager sur le chemin de la perfection que pour subir un prompt martyr ; on n’atteint pas la perfection en peu de temps. »
Vie, 31, 17

24 « Je dois rappeler que la faiblesse naturelle est très frêle, spécialement chez les femmes, et qu’elle se manifeste davantage dans ce chemin de l’oraison. Voilà pourquoi nous ne devons pas à chaque petite chose qui nous fait envie, penser qu’il s’agit de vision. Croyez bien que quand c’en est une, on le comprend bien. Là où il y a un peu de mélancolie, on doit encore plus être avisé. J’ai eu connaissance de ces envies dont j’ai été vraiment stupéfaite : comment est-il possible qu’elles paraissent si véritables au point qu’on voie ce qu’on ne voit pas. »
Fondations, 8, 6

23 « La science est une grande chose, elle nous instruit, nous qui savons peu de choses, elle nous éclaire et, parvenus aux vérités des Saintes Ecritures, nous faisons ce que nous devons : Dieu nous garde des sottes dévotions ! »
Vie, 13, 16

22 « Il me semble que ce que veut le Seigneur, c’est que de quelque façon, l’âme ait des nouvelles de ce qui se passe au ciel. Et il me semble à moi, ainsi qu’on se comprend là-haut sans se parler (ce que bien sûr je n’ai jamais su jusqu’à ce que le Seigneur dans sa bonté désirât que je le voie et me le montrât dans un ravissement) qu’il en est de même ici. Dieu et l’âme se comprennent ; avec pour seul vouloir de sa Majesté qu’elle le comprenne, sans autre artifice, pour faire connaître l’amour qu’il y a entre ces deux amis. Comme ici lorsque deux personnes s’aiment beaucoup et ont une bonne compréhension, sans signe, il semble qu’elles se comprennent seulement en se regardant. C’est ce qui doit avoir lieu ici, sans que nous voyions, comme on se regarde fixement entre amants, ainsi que le dit l’époux à l’épouse dans le Cantique (je crois que c’est là que je l’ai entendu). »
Vie, 27, 10

21 « Pour l’amour de Dieu, mes sœurs, sachons tirer profit de nos fautes elles-mêmes, pour connaître notre misère, et qu’elles nous donnent une meilleure vue comme la boue la rendit à l’aveugle qui fut guéri par notre époux. Et ainsi, nous voyant si imparfaites, que grandisse la supplication vers lui pour qu’il tire du bien de nos misères, et qu’en tout sa Majesté soit contentée. »
Demeures VI, 4, 11

20 « Je crois avoir suffisamment expliqué l’importance qu’il y a – aussi spirituel que l’on soit – à ne pas fuir les choses corporelles ; il leur paraît que même la très sainte Humanité cause du tort. Ils allèguent ce que le Seigneur a dit à ses disciples qu’il était bon qu’il s’en aille. Je ne peux le souffrir. Ce n’est pas pour sa très sainte mère qu’il a dit cela, parce qu’elle était ferme dans la foi et savait qu’il était Dieu et homme. Et bien qu’elle l’aimait plus qu’eux ‑ elle avait tant de perfection ‑ [cette humanité] l’aidait. Les apôtres ne devaient pas être si fermes dans la foi comme ils le seraient ensuite, et nous avons raison de l’être nous autres maintenant. Je vous le dis, mes filles, que je tiens pour un chemin dangereux et que le démon pourrait venir à nous faire perdre la dévotion au saint sacrement. »
Demeures VI, 7, 14

19 « Ces choses intérieures sont si difficiles à comprendre, que celui qui sait si peu comme moi, forcément devra dire beaucoup de choses superflues voire mal ajustées, pour en dire quelqu’une qui s’approche. Il faudra donc de la patience à celui qui le lira ; il m’en faut bien pour écrire ce que je ne sais pas. Pour sûr, certaines fois je suis devant le papier, stupide, qui ne sait que dire ni comment commencer. »
Demeures I, II, 7

18 « Croyez-moi, l’affaire n’est pas de porter ou non un habit religieux, mais de ne pas manquer de s’exercer aux vertus, de rendre notre volonté [conforme] à celle de Dieu en tout, que le concert de notre vie soit ce que sa Majesté ordonne, et que nous, nous ne souhaitions pas que notre volonté se fasse, mais la sienne. Tant que nous n’en sommes pas là ‑ comme je l’ai dit ‑ humilité, qui est l’onguent de nos blessures ; parce que si nous l’avons en vérité [cette humilité], même s’il tarde un moment, il viendra le chirurgien qui est Dieu, nous soigner. »
Demeures III, 2, 6

17 « Je désirais vivre, comprenant bien que je ne vivais pas mais que je me battais avec une ombre de mort. Il n’y avait toutefois personne pour me donner la vie, et je ne pouvais pas la prendre par moi-même. »
Vie, 8, 12

16 « J’en ai connu dont la tête et l’imagination sont si faibles qu’elles croient voir tout ce qu’elles pensent. C’est fort dangereux. »
Demeures IV, 3, 14

15 « Revenons maintenant à ceux qui désirent boire de cette eau de vie et veulent cheminer jusqu’à parvenir à la source même ; comment doivent-ils commencer ? Je le répète : il est important, il est capital […] qu’ils prennent la détermination absolue de ne pas s’arrêter qu’ils ne soient arrivés à cette source ; ceci quoiqu’il arrive ou puisse survenir, quelles que soient les difficultés ou les médisances, que nous devions arriver au terme ou mourir en chemin, que nous manquions de courage pour supporter les épreuves de la route ou que le monde s’écroule. »
Chemin, 35, 2

14 « Le Seigneur aime beaucoup que nous évitions la fatigue. Et même si dans l’espace d’une heure, nous ne disons qu’une fois le Notre Père, que nous comprenions que nous sommes avec lui, et ce que nous lui demandons, et l’envie qu’il a de nous donner – enfin, comme un père – et comme il se complaît à être avec nous, et nous nous régalons de lui. Il n’aime pas que nous nous cassions la tête. C’est pourquoi, mes sœurs, pour l’amour du Seigneur, habituez-vous à prier avec un tel recueillement le Notre Père, [en une heure vous n’en direz peut-être qu’un seul] et vous en verrez l’avantage avant peu de temps. »
Chemin, 50, 2

13 « Tout ce que je veux dire c’est que nous voyions qui est celui à qui nous parlons, et que nous demeurions avec lui sans lui tourner le dos (nous ne faisons pas autre chose quand nous parlons à Dieu et avons l’esprit fixé sur toutes sortes de vanités). Tout le mal vient du fait que nous ne comprenons pas vraiment qu’il est prêt de nous, et que nous l’imaginons loin ; et combien loin si nous allons le chercher au ciel ! […] Le ciel n’est-il pas à l’intérieur de nous-mêmes, puisque le Seigneur est en nous ? »
Chemin, 50, 1

12 « Nous ne sommes pas des anges, mais nous avons un corps. Vouloir faire l’ange pendant que nous sommes sur terre (et sur terre autant que je l’étais), c’est de la folie ; notre pensée doit avoir d’ordinaire un point d’appui, même si l’âme sort parfois d’elle-même ou si elle est souvent si pleine de Dieu qu’elle n’a besoin d’aucune chose créée pour se recueillir.
Cet état n’est pas habituel mais, dans les affaires, les persécutions, les épreuves, lorsque l’on n’est pas dans la paix coutumière, aux heures de sécheresse, c’est un très bon ami que le Christ, car nous voyons l’Homme en lui, nous voyons ses faiblesses, ses épreuves, et il nous tient compagnie. […] Embrassés à la croix, advienne que pourra. »
Vie, 22, 10

11 « Ô Seigneur du ciel et de la terre ! Est-il possible que même en cette vie mortelle on puisse jouir de vous, dans une amitié si intime ! […]
Donc, mon Seigneur, je ne vous demande rien d’autre en cette vie, mais que vous me baisiez du baiser de votre bouche, d’une façon telle que même si je voulais m’éloigner de cette amitié et de cette union, ma volonté se contraigne toujours, Seigneur de ma vie, à ne pas échapper à la vôtre ; que rien au monde ne m’empêche de dire : "Mon Dieu et ma gloire ! en vérité, ton sein est meilleur et plus savoureux que le vin." »
Pensées sur l’amour de Dieu, III 14-15

10 « Voilà, mes filles, les ennemis dont vous devez prier Dieu, oui prier sans cesse le Seigneur de nous délivrer en lui récitant le Notre Père ; qu’il ne permette pas que vous succombiez à la tentation et soyez victimes de l’illusion. […]
Ne pensez pas que le dommage se résume à nous faire croire que les consolations que [les démons] nous donnent viennent de Dieu ; c’est là le moindre mal, et bien souvent, il pourra même vous inciter à avancer plus vite et à consacrer plus de temps à l’oraison.
Là où les démons peuvent nous nuire beaucoup et causer un grand préjudice aux autres, c’est lorsqu’ils nous font croire que nous avons des vertus qu’en réalité nous ne possédons pas ; c’est une peste. »
Chemin, 66, 2-4

9 « Croyez-moi, si l’amour de Dieu, ou plutôt ce qui nous semble tel, excite nos passions de façon à nous faire tomber dans quelque faute, à troubler la paix de l’âme éprise d’amour ou à nous empêcher d’écouter la raison, il est clair que nous nous recherchons nous-mêmes. »
Fondations, 6, 21

8 « Etes-vous, mon Seigneur et mon Bien, réduit à une telle extrémité que vous trouviez bon d’accepter ma pauvre compagnie ? Et je vois, à l’expression de votre visage, que vous avez oublié vos peines en me voyant près de vous. Mais comment, Seigneur, est-il possible que les anges vous laissent seul, et que votre Père ne vous console pas ? S’il en est ainsi, Seigneur, et si vous voulez souffrir tout cela pour moi, puis-je appeler souffrance tout ce que je supporte ? de quoi ai-je à me plaindre ? Je me sens toute honteuse de vous avoir vu dans cet état. Je veux endurer, Seigneur, toutes les épreuves qui surviendront dans ma vie et les regarder comme un grand bien, pour vous imiter tant soit peu. Marchons ensemble, Seigneur ! Par où que vous alliez, il me faut aller. Par où que vous passiez, il me faut passer. »
Chemin, 42, 6

7 « Je ne vous demande pas de penser à lui, ni de forger quantité de concepts ou de tirer de votre esprit de hautes et subtiles considérations : je ne vous demande que de fixer sur lui votre regard. […]
Est-ce donc beaucoup que vous détourniez les yeux de l’âme des choses extérieures pour les porter quelques fois sur lui ? Songez, comme il le dit à l’épouse, qu’il n’attend de vous qu’un regard ; vous le trouverez tel que vous le désirez. Il estime tant ce regard que, de son côté, il ne négligera rien pour l’avoir »
Chemin, 42, 3

6 « Savez-vous ce qu’est être vraiment spirituels ? Se faire l’esclave de Dieu ‑ marqués de son empreinte qui est celle de la croix, parce que déjà ils lui ont donné leur liberté ‑ afin qu’il puisse nous vendre comme les esclaves de tout le monde, ainsi qu’il l’a été lui-même. […] Tout cet édifice, je le répète, a pour fondement l’humilité. […] Ainsi, mes sœurs, pour arriver à un bon fondement, faites-vous la plus petite de toutes et leur esclave, examinant comment et par quel moyen vous pouvez leur faire plaisir et les servir. […] Pour cela il ne faut pas poser vos fondations seulement sur la prière et la contemplation parce que si vous ne cherchez pas à acquérir les vertus et si vous ne vous y exercez pas, vous demeurerez toujours des naines. Et encore, plaise à Dieu que ce soit seulement de ne pas grandir, car vous le savez celui qui ne grandit pas rétrécit : je tiens en effet pour impossible que l’amour se contente de rester dans l’état où il se trouve »
Demeures VII, 4, 8-9

5 « Croyez bien que Dieu dérobe l’âme tout entière pour lui-même comme si elle était sa chose à lui ou son épouse et lui montre quelques parcelles du royaume qu’il a gagné, lui qui est ce royaume. Pour peu qu’on voie, c’est toujours beaucoup ce qu’il y a dans ce Dieu grand, et il ne veut nulle gène de personne, ni des puissances, ni des sens ; au contraire, il commande qu’on ferme toutes les portes de ces demeures. Et seule celle en laquelle il réside reste ouverte pour nous rencontrer. Bienheureuse et abondante miséricorde ! Avec raison ils sont malheureux ceux qui ne voudraient jouir d’elle et perdraient ce Seigneur. Oh mes sœurs, ce n’est rien ce que nous quittons, et rien ce que nous faisons ni pourrions faire pour un Dieu qui ainsi veut se donner à un ver ! »
Demeures VI, 4, 9

4 « Les confesseurs qui ne sont que des demi-théologiens ont fait un très grand mal à mon âme, car je ne pouvais m’adresser à des théologiens aussi bons que je l’eusse désiré. J’ai appris par expérience que, s’ils sont vertueux et de vie sainte, il est préférable que les confesseurs ne soient aucunement théologiens ; car, se méfiant d’eux-mêmes, ils recourent à ceux qui possèdent une bonne théologie, et je partage leur méfiance : un bon théologien ne m’a jamais induite en erreur. »
Vie, 5,3

3 « Je vous donne un conseil : ne pensez pas arriver à cet état [de sainteté] par vos efforts ou votre habileté, ce serait vain ; au contraire, si vous avez de la dévotion, vous tomberez dans la froideur. Dites plutôt, avec simplicité et humilité, car c’est l’humilité qui vient à bout de tout : Fiat voluntas tuas [Que ta volonté soit faite]. »
Chemin, 56,3

2 « Lorsque vous rencontrez dans la Sainte Ecriture ou dans les mystères de notre foi des choses que vous ne comprenez pas, ne vous y arrêtez jamais plus longtemps que je vous l’ai dit, ne soyez pas épouvantées par des paroles excessives que vous y entendrez sur les rapports de Dieu et de l’âme. L’amour qu’il a eu et a encore pour nous m’épouvante bien davantage et me fait perdre la raison sachant ce que nous sommes. Je comprends qu’il ne peut y avoir d’excès dans les paroles qui manifestent cet amour, puisqu’il nous l’a manifesté plus encore par ses œuvres. Mais pour l’amour de moi, réfléchissez à l’amour que Dieu nous a témoigné et vous reconnaîtrez qu’un amour si puissant, si fort, ne peut s’exprimer que par des paroles étonnantes. »
Pensées sur l’amour de Dieu, I, 7

1 « Mes filles, ne nous décourageons point. Quand l’obéissance nous imposera des œuvres extérieures, serait ce même à la cuisine, sachez que le Seigneur est là au milieu des marmites et qu’il nous aide à l’intérieur et à l’extérieur.
[…] La souveraine perfection ne consiste pas évidemment dans les joies intérieures, ni dans les grandes extases, ni dans les visions, ni dans les prophéties. Elle consiste à rendre notre volonté tellement conforme à celle de Dieu que nous embrassions de tout notre cœur ce que nous croyons qu’il veut, et que nous acceptions avec la même allégresse ce qui est amer et ce qui est doux dès que nous comprenons que Sa Majesté le veut »
Fondations, V, 8. 10