27/02/2015

Voici l'agneau de Dieu (Gn 22) 2ème dimanche de Carême

Même si la liturgie massacre le texte biblique avec des coupes injustifiées – on n’est tout de même pas à cinquante secondes près ! – c’est sur la première lecture que je m’arrête, le sacrifice d’Abraham (Gn 22). Le texte est connu. Il a tout pour stimuler l’imagination des romantiques, des tragédiens et des peintres. Tous en conviennent, il met en scène une épreuve de la foi.
Là où cela se corse, c’est que la foi nous casse tellement les pieds, à nous disciples de Jésus, même si le surmoi interdit qu’on le dise, que l’on comprend le texte à l’envers. Croire, ce serait évidemment faire n’importe quoi, jusqu’à sacrifier son fils, sous prétexte que Dieu le demande. On justifie par cet extrémisme que nous autres, nous ne soyons que modérément croyants. Vous comprenez, ce n’est pas pour tout le monde, avec une telle radicalité !
Croire ce serait faire plaisir à Dieu, lui faire des cadeaux, et des cadeaux qui coûtent ‑ sans quoi ce ne sont pas de vrais cadeaux, n’est-ce pas ? C’est juste le contraire de ce que nous confessons, que Dieu est pour l’homme, depuis la création jusqu’à la vie éternelle. Mais nous nous débrouillons à présenter la foi de telle sorte que nous-mêmes ne puissions y croire !
Tout repose sur une ambiguïté du texte. « Va, prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, et offre avec lui un sacrifice. » Malgré tous les articles depuis plus de trente ans sur ce verset, la nouvelle traduction liturgique continue à errer. Cette fois, on ne peut pas dire qu’elle tombe dans le panneau. Les traducteurs s’obstinent à fermer le sens Ecritures !
Offrir avec le fils un holocauste, cela peut sans doute signifier l’offrir lui en sacrifice. Mais cela peut aussi signifier qu’avec lui ‑ et le texte insiste plusieurs fois sur cet « ensemble » du père et du fils ‑ Abraham va prier et faire monter leur commune prière comme la fumée de l’holocauste.
Le texte insiste pour interdire la lecture sacrilège selon laquelle Dieu demanderait la mort du fils. D’abord Abraham répond : « Dieu saura bien voir pour l’agneau, mon fils ». Abraham n’aurait donc rien à offrir. L’offrande serait l’affaire de Dieu. Ensuite, la montagne change de nom. Ce n’est pas un détail. Et comment s’appelle-t-elle désormais ? Dieu voit. Et l’explication en rajoute une couche (même si elle modifie la voie). C’est bien de voir, de prévoir qu’il s’agit. C’est Dieu qui voit pour l’agneau. (L’évangile le confirmera lorsqu’à la question d’Isaac ‑ où est l’agneau ? – il répond : voici l’agneau de Dieu.)
Autre chose qui aurait dû nous interroger. Dieu appelle-t-il ainsi les gens ? Qui d’entre nous a été appelé : « Abraham, Abraham », « Teresa, Teresa », ou « Xavier, Xavier » ? Personne. Abraham, comme nous tous ‑ n’est-il pas le père des croyants ? ‑ attribue à Dieu ce qu’il pense que Dieu lui demande. On fait tous ainsi. Mais gare à l’illusion ! Le prophète Michée rapporte exactement cela. Alors qu’il est conscient de son péché, l’homme s’interroge : « Comment dois-je me présenter devant le Seigneur ? Donnerai-je mon fils aîné pour prix de ma révolte, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché ? »
La réponse est sublime que nous ignorons. Pourquoi donc ignorer ces sommets de la littérature biblique ? « Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et marcher humblement avec ton Dieu. »
Revenons à nos moutons, à notre agneau, à la foi d’Abraham. Le texte du sacrifice d’Isaac raconte effectivement une épreuve de la foi. Abraham, comme nous tous, doit se convertir, changer sa conception de la foi, de Dieu. Croire, ce n’est pas offrir à Dieu, sacrifier à Dieu, comme si croire nous cassait les pieds ! Croire, c’est accepter que Dieu donne, c’est lui qui voit pour l’agneau et tout le reste.
Et même, ce qu’il trouve c’est un bélier, un vieux mouton impropre à la consommation, histoire de rire des sacrifices que les hommes pensent bon d’offrir à Dieu. Il n’y a pas de sacrifice à offrir, seulement à tendre les mains. C’est Dieu qui donne. Crois-tu cela ? N’est-ce pas ce que nous faisons à l’eucharistie.
Nous ne le croyons pas, sans quoi nous serions convertis, sans quoi on arrêterait avec les sacrifices de carême. Tant que c’est moi qui décide ce que je dois donner à Dieu, privation de chocolat et autres efforts de carême, (vous imaginez comme cela fait plaisir à Dieu !) je suis encore aux commandes, je ne suis en rien converti, en rien obéissant, en rien dans l’humilité du chemin avec Dieu.
Si j’abandonne, jusqu’à ne pas savoir ce que cela signifie que Dieu donne, ce que cela signifie croire, mais suis seulement là, devant lui et pour les frères, peut-être je deviens croyant, disponible à l’appel de Dieu.
S’il y a un effort de carême, c’est de lâcher prise, même en matière de foi, c’est de laisser faire Dieu. Dieu saura voir, mon fils.

14/02/2015

Braver l'interdit de Jésus (6ème dimanche)



Jésus guérit un lépreux. Et voilà ce qu’il lui ordonne : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. »
Pourquoi ne rien dire à personne, puisque tout le monde sera au courant ? Pourquoi ne rien dire à personne si le prêtre doit attester de la purification et recevoir l’offrande prescrite ? Pourquoi ne rien dire à personne si cela doit être pour les gens un témoignage ?
Ce n’est pas la guérison qui doit rester secrète ; elle devra même servir de témoignage pour les gens. De quel témoignage s’agit-il ? Un homme a été purifié. Ce passif sans agent, ce passif que les exégètes appellent le passif divin, est une manière de dire l’action de Dieu sans prononcer son nom, par respect. Ainsi donc, Jésus veut que le témoignage de la purification soit rendu à Dieu. C’est lui qui fait vivre. C’est lui la vie.
Ce qui est secret, c’est le nom de Jésus. Surtout, que personne ne sache qui il est. Même sa parole le dissimule, au passif : « je le veux, sois purifié ». Le lépreux n’a pas suivi la consigne « de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts ».
Pourquoi Jésus veut-il rester dans l’ombre ? Que signifie cet anonymat de Jésus ?
Une première réponse consiste à penser que Jésus veut tout rapporter au Père. Il est sorti, comme dit l’évangile quelques versets plus haut, pour annoncer. On ne nous dit pas quoi. On le devine avec cette purification et les guérisons précédentes. Il annonce une libération. Au risque d’en dire trop, à ce point du récit, il est sorti pour annoncer que Dieu libère son peuple de l’emprise du mal, des maladies et démons. Le passif divin attribue l’action de salut au Père ; Jésus, homme au milieu des hommes, ne risque pas de se l’attribuer.
Une deuxième réponse, que l’on pourrait attribuer aux premiers chrétiens. On sait que leur prédication n’est pas exactement celle de Jésus. Jésus annonce le Royaume, le salut, et les premiers chrétiens annoncent Jésus (qu’ils reconnaissent comme le Royaume, le salut). Ainsi pour les premiers chrétiens, qu’on ne puisse pas dire par qui le lépreux a été purifié, qu’on ne puisse désigner l’agent de ce passif, dit qui est Jésus. Le passif divin devient le passif qui désigne Jésus en taisant son nom. Il est le sauveur, décidément et forcément du côté de Dieu, Seigneur.
Un homme a été purifié. Par qui ? On ne prononce pas le nom de l’agent mais l’on sait bien que c’est Dieu qui a agi. On ne prononce pas le nom de Jésus, mais l’on sait bien que c’est lui qui a agi ; il se retire, « de partout cependant on venait à lui ». Le silence que les premiers chrétiens font ordonner par Jésus est une manière pour eux de confesser leur foi, de faire retentir l’annonce : ce Jésus, c’est Dieu qui libère son peuple.
Une autre lecture, plus propre à Marc, peut encore être avancée. Pas plus que les précédentes, elle n’est exclusive. Il faut taire le nom de Jésus pour ne pas faire de Jésus une idole. Je traduis pour aujourd’hui. Jésus n’est pas superman, un magicien qui par l’opération du saint Esprit peut guérir un cancer, éviter un accident de la route, etc.
Ce qui est étrange c’est de penser que ceux qui sont attirés par Jésus, ceux qui de partout viennent à lui, peuvent être idolâtres, de ce Jésus-même qu’ils cherchent. Il arrive à ceux qui viennent à Jésus de mal parler de Jésus sans le savoir. Jésus le sait, lui. Il arrive que les disciples se trompent sur l’identité de Jésus. « Passe derrière moi, Satan ! tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » Voilà pour Pierre et les Douze.
Dans l’évangile de Jean on retrouve cela aussi : « Alors Jésus, se rendant compte qu’ils allaient venir s’emparer de lui pour le faire roi, s’enfuit à nouveau dans la montagne, tout seul. » Dans notre texte aussi, Jésus « reste à l’écart dans des endroits déserts ». Et c’est de s’être fait roi qu’il sera condamné… Ainsi donc, ceux qui viennent à Jésus peuvent mal parler de lui en pensant au contraire bien parler. Voilà pourquoi Jésus ordonne de ne rien dire.
Puis-je pointer une de nos idolâtries ? Elle est tellement ancrée dans nos habitudes que je tremble à la dénoncer. Elle concerne l’eucharistie telle que la polémique antiprotestante nous l’a refourguée. La dévotion eucharistique est parfois idolâtrique. L’expression de présence réelle, introduite par Urbain IV mais gentiment ignorée par Thomas d’Aquin, nous fait adorer quand il faut consommer : Prenez, mangez, prenez, buvez.
S’il y a un tabernacle, ce n’est pas pour qu’on puisse adorer, seulement pour conserver le corps de Jésus pour les malades et les absents. Le but n’est pas l’adoration, mais la conservation. Si on conserve l’eucharistie, évidemment, on va la respecter.
Ou bien encore, je ne fais pas action de grâce parce que Jésus s’est donné à moi, présent dans le pain. Je rends grâce, assurément, c’est même ce que veut dire eucharistie. Le psaume le dit : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut ». Nous ne rendons pas grâce d’avoir communié, de ce que Jésus soit venu en nous. C’est pour rendre grâce que nous communions. Jésus vit en nous, jour après jour, heure après heure. Et pour en rendre grâce, pour faire eucharistie de sa présence en nos vies, nous communions.
Parfois il faut être discret sur l’identité et la personne de Jésus, écouter l’ordre de taire son nom. Sans quoi, on lui interdit d’entrer en nos villes et le cantonne dans les endroits déserts. C’est peut-être ce que deviennent nos églises !

07/02/2015

Rapide présentation de Jésus Mc 1 (5ème dimanche)




Nous lisons depuis un mois le premier chapitre de l’évangile de Marc, et nous ne l’achèverons que la semaine prochaine. Ce n’est pas que le chapitre soit long, seulement quarante cinq versets ! Mais Marc, dans son style ramassé, donne l’impression de la profusion. Jésus n’arrête pas. Son entrée en scène est une sorte tornade qui entraine le mal sur son passage, une caresse pleine de tendresse qui témoigne de l’amour de Dieu pour les hommes. Reprenons.
Il y a le titre : Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu.
Puis, scène numéro 1, le baptême où sont convoqués bien sûr Jean-Baptiste, mais aussi le premier testament à travers le prophète Isaïe. Une longue attente semble devoir se terminer incessamment. Sept courts versets prennent tout de même le temps des détails : les poils de chameau du vêtement de Jean, comme le miel de sa nourriture, avant que cinq autres versets racontent le baptême et évoquent des tentations au désert.
Scène numéro 2, on apprend laconiquement l’arrestation de Jean, Jésus prend le relai et annonce la conversion.
Mais déjà, scène numéro 3, le voici qui appelle des disciples. C’est curieux, dans son déplacement, Jésus ne rencontre que des frères, Simon et André, Jacques et Jean. Ne serait-ce pas son passage qui transforme l’humanité en fraternité ? A moins que ceux qui sont appelés à devenir pécheurs d’hommes ne puissent être que des frères. Tout cela en cinq versets.
Et c’est déjà la scène numéro 4. On entre dans la ville, Capharnaüm, plus précisément à la synagogue. Notez, on ne sait presque rien de Jésus. Il a débarqué, juste désigné par le Baptiste, alors qu’il venait comme les autres se faire baptiser, être disciple de ce Baptiste qui résumait l’attente d’Israël, récapitulée par le prophète. Il a juste débarqué, le ciel aussitôt s’est ouvert et c’est une autre désignation, celle du ciel : Tu es mon fils bien aimé. Petit passage au désert, appel de disciples sur le chemin qui ramène à la ville et entrée dans la synagogue, le jour du sabbat. Ce n’est que la scène numéro 4, et déjà, il faut récapituler.
A Capharnaüm, ce jour de sabbat, il se passe aussi de nombreuses choses. Là encore, profusion. Jésus enseigne, on est surpris de son enseignement. Jésus connaît une première résistance, un esprit mauvais, qu’il chasse aussitôt. Alors, aussitôt, on se met à parler de lui dans la région.
Nous voilà à la scène numéro 5, le texte d’aujourd’hui. La guérison de la belle-mère de Pierre et de plein d’autres malades qu’on lui apporte. Cela n’arrête pas.
Scène numéro 6, que nous avons aussi lue, Jésus lui-même calme le rythme que l’évangéliste continue à maintenir haletant, en précisant qu’au petit jour, Jésus se lève, il est déjà reparti, mais c’est pour le désert. Cinquième mention du désert dans ces trente cinq versets : le monde serait-il un désert ? Un désert de quoi ? Désert ravagé par le mal, désert plein de monde qui ne se rencontre pas, coexiste sans être frère ? Bref, Jésus prie. On saura plus tard qu’il prie un père, son père, celui qui a pour fils la multitude des hommes. C’est un lendemain de sabbat, comme un certain jour de Pâques.
Rejoint par les disciples qui l’ont retrouvé et qui avaient donc commencé à se mettre en route pour le chercher, les voilà qui ainsi deviennent disciples. (On retrouve toujours Jésus le lendemain du sabbat, un certain jour de Pâques.) Les gens aussi le cherchent, mais eux ne l’ont pas trouvé, ne sont pas venus jusqu’à lui.
Jésus explique alors en un mot ce qui vient de se passer. « C’est pour cela que je suis sorti ». Nous sommes au verset 38. Nous, en lisant Marc, on a plutôt l’impression qu’il vient d’entrer, d’entrer en scène. Lui, il est sorti. D’où sort-il donc ? Encore une question au passage, qui devra trouver réponse, tout comme on apprendra qui est celui que Jésus prie.
Alors, dernière scène, numéro 7, changement de décor, non plus le désert de Jean, ni Capharnaüm avec la synagogue, la maison de Pierre où l’endroit désert de la prière, mais la Galilée qu’il faut parcourir. Elle est curieuse cette Galilée sous la plume de Marc, on y rencontre des synagogues pour enseigner et des esprits mauvais. Ce sera l’évangile de la semaine prochaine, avec la guérison, la purification d’un lépreux.
Voilà, je n’ai fait que reprendre le texte et j’ai été plus long à le répéter que si nous l’avions relu. Il y a une urgence, il y a urgence pour Jésus. Le tic de langage de Marc nous le dit : « Aussitôt ». Le mot revient onze fois depuis le baptême, entrée dans l’ère nouvelle (ce n’est plus l’annonce d’Isaïe ou celle du Baptiste). Un temps nouveau s’ouvre avec les cieux, et c’est celui de l’urgence, de l’aussitôt, pour lequel Jésus est sorti.
Alors arrêtons-nous, soufflons un peu, et reprojetons le film en nos cœurs, un titre et sept scènes, comme une semaine, comme la première semaine de création : Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu, Baptême par Jean, annonce de la conversion, appelle des disciples, entrée à Capharnaüm, à la synagogue puis chez Pierre et nombreuses guérisons, matinée de prière et de recherche, parcours de la Galilée et guérison d’un lépreux.