30/10/2015

La vie n'a plus de fin (Mt 5, 1-12) Toussaint



Heureux ceux qui pleurent, heureux les persécutés pour la justice, heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Comment entendre cela ? Est-ce une provocation, morgue du tortionnaire envers ses victimes ? Est-ce le programme d’un renversement révolutionnaire des valeurs à la Pasolini ? Est-ce le misérabilisme, contentement de méprisés qui ne font rien pour s’en sortir au point de transmuer la fange en valeur, de s’y complaire ?
A la lecture d’un théologien anglais, James Alison, cet été, une nouvelle piste m’a été ouverte. Il s’agirait de ne plus avoir honte d’être victimes. Lisons l’évangile du côté des victimes, ceux qui sont perdus, qu’on a perdus et que le fils de l’homme est venu sauver.
Ce sont les femmes violées, les enfants abusés ou victimes de harcèlement scolaire, les rescapés des génocides ou des camps de concentration et tant d’autres. De façon moins tragique aussi, les victimes d’une escroquerie, ceux qui sont au chômage depuis des années et n’arrivent pas à en sortir, etc. On sait que souvent, pour ne pas dire toujours, les victimes ont honte de leur sort au point de n’en rien dire. Il a fallu des années pour que les rescapés des camps prennent la parole et racontent. Un des récits porte même comme titre : Personne ne m’aurait cru, alors, je me suis tu. Vrai ou pas le fait que personne ne l’aurait cru, le silence est le refuge de la honte. Mais honte de quoi ? Honte d’être victime.
Le mal enferme dans le mal. Les pauvres cachent leur pauvreté tandis que les riches exhibent leurs biens. La victimisation ne s’arrête pas aux coups du bourreau. Elle se poursuit dans la déchéance, aux yeux des autres, à ses propres yeux, y compris lorsque l’on est victime innocente. La victime se sent coupable. Il y a aussi ceux qui sont écrasés par le mal qu’ils ont commis, humiliés par leurs échecs, humiliés d’avoir fait le mal sans parvenir à tourner la page, à se réconcilier. Comment se pardonner d’avoir tué, d’avoir battu, haï, volé, trahi ?
Heureux ceux qui pleurent, heureux les persécutés pour la justice, heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. L’évangile des béatitudes c’est la bonne nouvelle de la fin de la honte, honte de la mort, honte de l’échec. Honte du péché aussi si l’on en croit le récit du jardin d’Eden ou la nudité devient honte. Les béatitudes sont la sortie du mal. Vous avez été broyés par le mal, mais le mal ne vous enchaîne pas à jamais. C’est déjà fini, relevez la tête. Vous pouvez être heureux non d’avoir souffert le viol ou la torture, la déportation ou l’exil, l’humiliation ou la pauvreté, mais de ce que le poison à retardement de ces douleurs a perdu son pouvoir de mort. Vous n’avez plus à avoir honte de votre douleur. Heureux êtes-vous. Il a ouvert pour tous les siens en grand, la porte du très vieux jardin.
Parce que Jésus s’est identifié aux victimes, ceux qui pleurent, qui sont persécutés pour la justice, ont faim et soif de justice, la place des victimes n’est plus celle de la honte. Cela ne supprime pas le mal, toujours à condamner, à combattre, mais cela rend la dignité aux victimes. Vous n’avez pas à vous cacher, la dignité humaine est vôtre, vous êtes fils et filles de Dieu. Vous qui êtes à sa place parce qu’il est à la vôtre, vous devenez Christ. Quel évangile ! Quelle bonne nouvelle ! Quelle libération ! Quel salut ! C’est la sainteté.
Quant aux miséricordieux, aux doux, à ceux qui ne s’y croient pas et ont le cœur pur, ils n’existent pas, on est bien d’accord. Cela c’est le portrait de Jésus. Les béatitudes, c’est le portrait de Jésus. Pour nous, c’est impossible.
Ceux qui souffrent d’avoir été bourreau, d’avoir fait le mal, d’avoir raté ou gâché leur vie ou celles des autres, pour eux aussi, une porte est ouverte dans leur humiliation. Votre place aussi Jésus l’a prise, lui que Dieu a identifié au péché. Vous tous qui avez soif de vie comme de justice, vous tous qui savez bien que, quoi que vous souhaitiez, vous n’êtes pas miséricordieux, doux, artisans de paix, bonne nouvelle, béatitude ! Heureux êtes-vous.
Reste, si j’ose dire, à le croire, c’est-à-dire à croire Jésus, non comme celui qui est le fils de Dieu et autres affirmations du catéchisme. Croire Jésus au point que nos vies soient changées. Bienheureux êtes vous ! Tant que nous nous traînons dans la tristesse, ce n’est pas encore cela. Non qu’il n’y ait pas à être affligé par le mal, mais que déjà nous en sommes tirés. Non qu’il y ait à être heureux ou joyeux, ainsi que prétendent l’enseigner le développement personnel ou une certaine prédication chrétienne. Comment serait-on dans la joie quand les frères crèvent et que nos sociétés ne les secourent pas ?
Mais c’en est fini de l’horreur qui enferme, de l’humiliation de l’innocent et de la honte du bourreau. Redressez la tête, le royaume est là, non pas demain, après la mort, mais ici et maintenant. Ce n’est pas pour demain comme une récompense ou un pardon, quand plus rien ne permettra de le vérifier. Le Royaume de Dieu est à vous, vous avez déjà la dignité des enfants de Dieu, victimes innocentes ou coupables broyés par le remords. Parce que Christ est à vos côtés, a pris votre place, la vie est ouverte, la vie n’a plus de fin. C’est cela la sainteté.

1 commentaire:

  1. Quant aux miséricordieux, aux doux, à ceux qui ne s’y croient pas et ont le cœur pur, ils n’existent pas, on est bien d’accord.
    Non pas moi, j'ai souvent l'impression de croiser la tendresse, la douceur et la clarté dans les gens qui m'entourent. Certes peut être de façon imparfaite, mais tout de même comme un reflet du Christ qui les habite et qui transforme ce qu'ils sont.
    Bonne journée,
    Florence

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