11/03/2016

Tout considérer comme des balayures (5ème dimanche de carême)



« Frères, tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures. »
Qui d’entre nous peut dire cela ? Qui d’entre nous élève ses enfants, de sorte qu’ils considèrent tout comme des ordures ? Les lectures de la messe s’enchaînent. Les écoutons-nous ? Comment supporter leur excès ?
Pour les entendre sans que rien ne change en nos vies, il y a une astuce : déclarer que Paul, lui est un saint, pas nous. Lui, a tout quitté pour le Christ, mais ce n’est pas pour nous. Astuce fallacieuse, car si nous ne faisons pas consciemment ce que nous savons mener à la sainteté, pourquoi vouloir encore être disciples ? Nous sommes ici pour suivre Jésus, pour vivre comme lui, recevoir la sainteté de Dieu, mais la sainteté ne serait pas pour nous, réservée à quelques uns ! La contradiction nous dénoncerait, avec notre peu de conviction. Elle ne nous empêche pas même de jeter la pierre aux autres qui, comme nous, disent et ne font pas !
C’est une habitude assez répandue dans l’Eglise d’exalter quelques uns se défausser. Ainsi à propos des vocations. Nous raffolons des témoignages où de plus pécheurs que nous se montrent saints, nos voulons y croire, parce qu’appelés à la vie religieuse ou au sacerdoce. Plus c’est curieux, merveilleux, mieux c’est pour la religion, pour entretenir le mythe, et moins c’est fait pour nous. Etonnons-nous, qu’il n’y ait plus, comme on dit, de vocations.
Non, la vie de Paul est la nôtre, pécheur converti, criminel pardonné, caractère que l’on peut penser insupportable de domination ou de supériorité convoqué à être serviteur, que dis-je, esclave. S’il considère tout comme des ordures, des balayures, c’est que rien n’importe à côté du Seigneur Jésus. Ce qu’on fait de mieux ne vaut rien à côté du Seigneur Jésus.
On pourra soupçonner et dénoncer une rhétorique exaltée dans la logique de la conversion. Mais pour dire la grandeur de Jésus, ne vaut-il pas mieux le comparer à ce qui est grand ? Il n’est pas difficile que Jésus vaille plus que tout si tout est ordure. N’allons pas si vite. Car tout valait pour Paul : sa foi de pharisien, le sérieux de sa foi. Peut-être même sa carrière. Saul veut réussir sa vie, dirions-nous aujourd’hui, être quelqu’un de bien. Un pro, une référence, sans tâche, impeccable, irréprochable.
Réussir notre vie, que nos enfants réussissent la leur. Tout cela est à considérer comme des balayures. D’abord parce que la réussite de la vie est une drôle d’idée. C’est quoi réussir sa vie quand on est éboueur, quand votre mari vous bât, quand vos enfants n’ont pas de quoi manger où foutent leur vie en l’air en se droguant ? Réussir sa vie, c’est une question de personnes déjà pourvues qui en veulent plus. Ceux qui n’ont rien, si déjà ils persévèrent humblement, à se tenir là où la vie leur en a fait l’obligation, c’est beaucoup. Réussir sa vie, pour un curé de paroisse, c’est quoi ? Finir évêque ? (quel verbe !) Avoir une responsabilité plus importante, être reconnu, avoir une église pleine ? Tout cela, ce sont des ordures.
Se tenir là où la vie nous a mis, secourir ceux qui en ont besoin, faire toujours le mieux possible ce qui se présente et ne pas s’occuper du reste qui n’est qu’ordure. Voilà notre tâche. Et plus nous avons des responsabilités dans l’entreprise, dans la cité, plus nous sommes en vue, moins cela a d’importance. Ordures. Arrêtons de nous y croire. Nous avons de quoi vivre, tant mieux. Cela n’est rien si nous ne nous tenons pas aux côtés de ceux que le Christ soigne comme le samaritain de la parabole ; c’est là que nous le trouverons.
Ces paroles sont dures. Ne sont-elles pas celles de la conversion à laquelle le Christ nous appelle ? Ces paroles sont dures, mais elles ne jugent personnes. Qui pourrait juger alors qu’il est lui-même dénoncé ? Ces paroles sont dures, c’est un chemin de croix. Certes, on aurait pu rêver mieux pour réussir sa vie. Mais alors qu’approchent les jours de la passion, pouvons-nous ne pas les écouter ?
Si nous sommes ici, même tièdes dans la foi, c’est que nous n’avons pas le choix. Nous avons été saisis. Allons-nous envoyer paître celui qui nous a saisis ? « Je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. » A la longue, puissions-nous nous laisser un peu transformer « afin de gagner un seul avantage, le Christ », afin d’être trouvés témoins de ce Christ au cœur du monde. Nous ne sommes pas là pour culpabiliser ; oubliant ce qui est en arrière, et lancés vers l’avant, puissions-nous courir vers le Christ, même s’il entre dans sa passion, même s’il faut prendre le chemin de la croix.
Saisis par lui, courir vers le Christ, voilà la seule chose qui vaille. Tout le reste est ordure.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire